Le discours du Bloc est marqué par un paradoxe fondamental: les Québécois auraient plus de pouvoir en étant dans l'opposition qu'en étant membres de l'équipe ministérielle. Les bloquistes prétendent qu'ils ont pu, depuis plus de 20 ans, défendre des dossiers, amender des projets ou bloquer des initiatives gouvernementales à partir des banquettes de l'opposition. Nous détenons le «vrai pouvoir», disent-ils.

Par-delà des cas avérés, ce discours est discordant par rapport aux finalités de la joute électorale: c'est le gagnant qui définit les politiques publiques; c'est le gouvernement qui détient les véritables leviers du pouvoir. L'opposition piaffe d'impatience et attend son tour. Voilà pourquoi chaque parti rêve de gagner, les perdants jouant généralement un rôle secondaire. Bref, il n'y a pas égalité entre les 308 députés quant à la capacité d'influencer les décisions.

Le discours du Bloc est également paradoxal par rapport à ses propres actions: pourquoi donc Gilles Duceppe aurait-il eu l'étrange volonté d'appuyer les autres partis en 2004, comme en 2008, pour supporter une coalition dominée par Stephen Harper ou Stéphane Dion s'il est si «puissant» dans l'opposition?

Depuis plusieurs années, ces paradoxes ne semblent cependant pas indisposer un grand nombre de Québécois, et ce malgré le fait que la souveraineté n'est plus dans les priorités de l'opinion publique.

Pour comprendre cet état d'esprit qui amène quatre Québécois sur dix à appuyer le Bloc, il faut bien sûr y voir une manifestation identitaire du Québec français. L'arc-en-ciel formé par les autonomistes et les souverainistes appuiera largement les candidats du Bloc.

Mais il y a un peu plus. Les paradoxes du Bloc sont tolérés parce que beaucoup d'électeurs du Bloc sont distants à l'endroit du «jeu» politique. La grande enquête électorale menée auprès de presque 3000 Canadiens lors des élections de 2008 nous instruit sur des différences significatives entre les votants pour le Bloc et ceux des autres formations.

Ainsi, 51% de ceux qui appuyaient le Bloc estiment que «tous les partis fédéraux sont essentiellement pareils; on n'a pas vraiment de choix»; cette opinion, bien que présente dans le reste du Canada, est moins prédominante puisqu'elle est partagée par 36% des libéraux et 31% des conservateurs.

Autre fait: 90% des électeurs du Bloc estiment que les politiciens sont «prêts à mentir» pour gagner des votes; chez les libéraux et les conservateurs, c'est 12 points de moins. Les bloquistes sont aussi plus nombreux à croire que les gouvernements «ne se soucient pas de ce que les gens pensent». Plus révélateur du faible niveau d'intégration est la proportion d'électeurs du Bloc qui disent avoir déjà été membres d'un parti politique fédéral; chez les bloquistes, c'est un sur dix; chez les libéraux et les conservateurs, c'est le double.

Quand on met bout à bout ces différents éléments, il est manifeste que les bloquistes sont nombreux à se méfier de la logique du pouvoir. Le discours paradoxal du Bloc n'étonne alors que fort peu. Au contraire, il fait écho à cette distance institutionnelle; il la réconforte. Ainsi, bon nombre de Québécois se sentent plus à l'aise dans l'opposition qu'au pouvoir, précisément parce que ce dernier serait «sale» ! Il vaut donc mieux l'éviter pour rester dans le discours d'opposition, de dénonciation et d'indignation.

Cette posture n'est pas illégitime. On oublie que le travail du député est basé sur quatre fonctions: celle de représentation, celle de surveillance, puis la fonction législative, et celle de légitimation. Les députés du Bloc se voueraient aux deux premières, estimant à l'instar de bon nombre de Québécois que les deux autres sont trompeuses.

Est-ce que cette posture paradoxale tiendra encore pendant 10 ans? Difficile à imaginer. Si les conservateurs obtiennent une majorité, le Bloc aura moins d'impact sur le parquet du Parlement. Au fil du temps - et peut-être plus rapidement qu'on le croit -, plusieurs en viendront à s'interroger à nouveau sur l'utilité du Bloc. Quant au Canada anglais, quand il répétera «what does Quebec want?», on pourra lui répondre simplement: d'abord du nationalisme, mais aussi une bonne dose de scepticisme.