Cher Pierre, j'ai été heureux de lire dans ta lettre que tu accueillais «avec beaucoup d'ouverture» certaines des idées que nous avons mises de l'avant récemment. Tu as aussi raison de souligner que nous souhaitons bousculer l'ordre établi au Québec; ce profond désir de changement est au coeur du projet de la Coalition.

Par contre, j'ai été déçu de constater que tu as abandonné l'idée que les choses puissent changer. Tu ne crois plus qu'il soit possible de transcender le débat entre souverainistes et fédéralistes. Tu me reproches de faire fausse route parce que je souhaite envisager la question nationale autrement.

Je ne partage pas cette vision. Je n'accepte pas que le Québec continue à être paralysé par le cul-de-sac entre la souveraineté et le fédéralisme renouvelé. Les souverainistes n'arrivent pas à convaincre une majorité de Québécois d'appuyer leur projet. Les fédéralistes n'ont pas su faire accepter au reste du Canada - et enchâsser dans la Constitution - le caractère distinct du Québec.

Plutôt que de perpétuer cette polarisation, il faut rassembler les Québécois autour du tronc commun qu'ils partagent quant à leur vision de ce qu'est le Québec et de ce que ça veut dire d'être Québécois. Le projet de la Coalition repose entre autres sur notre conviction qu'avant d'être divisés entre souverainistes et fédéralistes, les Québécois sont majoritairement nationalistes.

Dans ce contexte, nous croyons que la question nationale a bien plus à voir avec la manière dont on aborde les défis que le Québec doit relever. Il faut avant tout défendre l'intérêt national du Québec.

Un passage de ta lettre m'a frappé: l'idée que «une fois notre souveraineté acquise» certaines choses deviendraient possibles. Considères-tu la possibilité - pourtant bien réelle - que ce moment n'arrive pas dans un avenir prévisible? Faudra-t-il que le Québec attende encore longtemps avant de procéder aux réformes nécessaires? Et comment comptes-tu concrètement faire augmenter le niveau d'appui à la souveraineté?

En attendant que tu résolves cette dernière question, à laquelle même René Lévesque n'a pas su répondre, je préfère employer mes énergies à redonner aux Québécois le goût de préserver une «certaine idée du Québec» à laquelle ils sont attachés.

La Coalition que je dirige avec Charles Sirois propose de s'attaquer d'abord au décrochage scolaire, à la défense du français, aux listes d'attente et à notre écart de richesse avec le reste de l'Amérique du Nord - et remettre à plus tard le débat sur la souveraineté. Quand la maison du Québec sera en ordre - quand nos enfants auront de meilleures écoles, quand notre culture sera forte et rayonnante, quand tous les Québécois auront un médecin de famille, quand le Québec ne recevra plus de péréquation du reste du Canada -, ceux qui me suivront pourront envisager toutes les options possibles quant au statut constitutionnel du Québec. Autrement, c'est un luxe qu'ils risquent de ne pas avoir. Es-tu prêt à prendre ce risque?

D'ici là, j'ai la conviction qu'une majorité de Québécois veut un Québec fort qu'elle léguera à ses enfants la tête haute.

Le projet est ambitieux. Il implique qu'on ait le courage d'abandonner les cadres et les réflexes du passé. Et son succès dépend entre autres de la capacité qu'auront certains hommes et certaines femmes d'ici de transcender la partisanerie d'antan pour construire ensemble, enfin, un Québec dont nous serons tous fiers.