L'auteur est directeur du Centre de recherche sur l'Afrique et la Méditerranée à Rabat, au Maroc. Il a écrit Violence de la rente pétrolière: Algérie, Irak, Libye (Presses de sciences Po, 2010).    

La Libye de Mouammar Kadhafi sera-t-elle la prochaine rive de la vague démocratique qui a emporté Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie et Hosni Moubarak en Égypte? Considéré comme un régime solide, la Jamahiriyya (État des masses en arabe) qui pourtant disposait de très sérieux atouts pour résister, est au bord de l'effondrement.

En 15 jours d'insurrection, le régime a perdu le contrôle de la région de la Cyrénaïque, des principaux champs et terminaux pétroliers, il demeure cantonné à Tripoli et à Syrte. La défection des tribus qui le soutenaient, le ralliement progressif de l'armée à la cause des insurgés et l'incapacité des mercenaires étrangers à assumer le contrôle des villes abandonnées par la Garde révolutionnaire et les comités révolutionnaires, a placé le régime en situation de survie.

Défendu par son dernier carré de fidèles et sa tribu, le régime de Kadhafi peut, dans la ville de Tripoli, résister à une conquête militaire de la ville. Il dispose d'unités réduites, 15 000 hommes, mais très bien armées qui défendront chèrement leur vie.

La communauté internationale a pris la mesure des dangers de la situation libyenne en votant des sanctions contre le régime. Si à moyen terme, ces sanctions ont pour but s'assécher les ressources du régime afin de le contraindre à la reddition, à court terme, le régime de Kadhafi a les moyens de résister. Il dispose de ressources financières considérables placées dans des comptes offshore que le gel des avoirs ne peut atteindre, ses unités spéciales disposent d'arsenaux leur permettant de tenir un siège de la ville. Le contrôle du port et de l'aéroport lui assure un approvisionnement clandestin des biens et produits dont il aura besoin et il est fort probable qu'une économie de revente d'essence se développe. En somme, si le régime ne tombe dans les jours ou semaines à venir, il parviendra à se doter de moyens pour survivre.

Cette situation, nul n'aurait pu l'imaginer il y a quelques semaines seulement! Jusqu'à tout récemment, la Libye était jusqu'à récemment un formidable eldorado que se disputaient les hommes d'affaires occidentaux et chinois attirés par les projets lénifiants des fils de Kadhafi.

En septembre 2007, Saadi présentait à Genève le projet The Road to the Future qui ferait de la côte libyenne une zone comparable à «New York, Monte Carlo et Hong Kong». Saïf al-Islam, alors successeur désigné, prévoyait que «la Libye serait un pays moderne, avec des infrastructures modernes, un PNB élevé. Ses citoyens auraient le meilleur niveau de vie de la région. La Libye aurait des relations proches avec le reste du monde, avec l'Afrique, un partenariat avec l'Union européenne.» (Le Figaro, 8 décembre 2007).

Attirés par ses 120 milliards de dollars d'avoirs en réserve et par son potentiel sous-exploité de gaz et de pétrole (huitième réserve mondiale prouvée de pétrole), les chefs d'État, souvent pressés par les lobbys industriels de l'armement et du secteur des hydrocarbures, ont chaleureusement renoué avec Kadhafi, encore il y a peu de temps considéré comme un paria au sein de la communauté internationale. Et pourtant cette Libye nouvelle que nous vantaient les chancelleries était composée des mêmes ingrédients que l'ancienne.

La moitié du peuple libyen a moins de 20 ans, il est alphabétisé pour plus de 90% et urbanisé. Et il sait, que derrière l'eldorado, la situation des droits de l'homme est «désespérée», pour reprendre l'expression du rapport d'Amnistie internationale du 23 juin 2010.

L'insurrection libyenne n'est pas le résultat de la pauvreté mais celui d'une privation sans fin des libertés. Espérons que l'engagement de la communauté internationale en Méditerranée parvienne à restaurer quelques valeurs morales que les États et entreprises qui la composent ont allégrement oubliées, obnubilés par la ruée vers l'or noir du désert libyen.