On trouvera peu de gens pour s'opposer de prime abord à la requête de la coalition pour l'histoire et de la fondation Lionel-Groulx d'instituer un cours d'histoire du Québec obligatoire pour les cégépiens.

Dans une province où l'avenir de la nation nourrit les principaux débats depuis 50 ans et où la culture des francophones paraît toujours en danger, le quidam aussi bien que l'intellectuel pensent qu'il serait normal qu'on donne à notre jeunesse des connaissances de base sur ses origines et le développement historique de la société où elle s'épanouit. Cela permettrait notamment de «créer une conscience nationale», de «développer un sentiment d'appartenance», de mieux «orienter notre futur», et même de «mieux intégrer les nouveaux arrivants».

Mais il n'est pas certain que cette idée séduisante en apparence soit une bonne chose, ni même quelque chose de faisable, et encore moins de souhaitable.

L'histoire du Québec est déjà enseignée au secondaire, dans le cadre du cours «Univers social», en 4e et 5e secondaire. On peut arguer que ce ne sont pas de véritables cours d'histoire, que l'histoire du Québec y est dénaturée par une approche multiculturelle liée à l'acquisition de compétences, ou même qu'on y parle trop des autochtones et pas assez des Patriotes. Il n'en reste pas moins que l'histoire nationale est le matériau de base du cours d'Univers social pendant deux ans. Et on voudrait que les élèves suivent un autre cours d'histoire du Québec dès leur entrée au cégep, à peine plus d'un an plus tard? C'est là une avenue royale si on a l'intention de lasser les jeunes de l'histoire nationale à jamais.

De plus, il existe déjà au cégep, pour les étudiants de sciences humaines, un cours d'histoire obligatoire, soit Histoire de la civilisation occidentale. Si on impose un cours d'histoire nationale obligatoire à tous les étudiants, alors ceux inscrits en sciences humaines auront deux cours d'histoire obligatoires, à moins qu'on n'abolisse le premier. Imposer deux cours d'histoire obligatoires déplaira à une grande proportion des étudiants qui n'ont pas la fibre historique. Et supprimer le cours d'Histoire de la civilisation occidentale serait une erreur.

Après deux ans passés au secondaire à étudier l'histoire du Québec, n'est-il pas temps pour les cégépiens d'élargir leurs horizons et de connaître les Grecs, les Romains, l'humanisme et la Renaissance?

Sans compter que le déclin des cours d'histoire du Québec depuis les années 80 n'est pas le fruit d'un sombre complot multiculturaliste, mais la conséquence d'une tendance croissante et saine, chez les jeunes, à s'ouvrir au monde. Au collège où j'enseigne, nous sommes passés de cinq groupes en Histoire du Québec au milieu des années 80 à un seul depuis quelques années, sans que ce délitement soit autre chose que la résultante des choix de cours effectués par les étudiants eux-mêmes.

La vérité, c'est que l'histoire du Québec intéresse de moins en moins et, surtout, qu'elle ne passionne plus, comme en fait foi l'évolution du climat dans ces classes. Les jeunes préfèrent le XXe siècle, le tiers-monde ou les États-Unis, et c'est normal! Enfin, il ne faut pas négliger une conséquence néfaste qu'entraînerait vraisemblablement la réforme réclamée par la coalition, soit la possibilité que ce cours ne (re) devienne un cours d'endoctrinement à la cause souverainiste. Il ne s'agit pas ici d'un procès d'intention, car tout individu qui a fait des études dans le Québec francophone aura connu ce genre d'historien qui faisait de son cours un réquisitoire contre les Britanniques et la Confédération. Cette interprétation, probablement dominante dans le passé, a hélas encore cours dans les milieux enseignants. Cette instrumentalisation du cours d'histoire du Québec ne serait-elle pas, d'ailleurs, une des causes majeures de la désaffection des jeunes à l'endroit de celui-ci?