L'auteur est professeur titulaire de psychiatrie à la faculté de médecine de l'Université Laval, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génétique des maladies neuropsychiatriques et directeur scientifique du Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard.

Le titre peut paraître paradoxal. Après tout, la science est sans frontières. Elle communique mondialement, elle se le doit pour innover, provoquer une avance en se basant sur tous les faits scientifiques antérieurement acquis. Mais alors? Qu'en est-il de «l'économie du savoir» ? Cette expression d'odeur universitaire qui, dans un monde pragmatique, signifiera «commerce international» des idées et de l'innovation en biosanté, agriculture, environnement et génie. L'enrichissement économique et social d'une nation passera dorénavant par la science. L'économie manufacturière et industrielle devient secondaire et l'Occident est en train de perdre sa primauté sur l'Asie en ce domaine.

Six tendances lourdes, en interaction entre elles, défavorisent les pays du G8, dont le Canada et le Québec, notamment dans les sciences biomédicales et de la vie, un secteur capital pour l'économie de toutes les nations.

Un, la productivité scientifique des compagnies pharmaceutiques diminue fortement depuis 15 ans et atteint un plancher. Puisque les grandes pharmas vivent toutes la même baisse, elles ne peuvent emprunter les solutions de leurs pairs, ce qui rendra plus difficile leur reprise. Comme remède, ces multinationales adoptent maintenant la stratégie «d'externaliser» (confier à un tiers) leur recherche scientifique parce qu'elles ont besoin d'expertise extérieure et de découvertes qui mèneront à des applications médicamenteuses. Une décennie au moins sera nécessaire aux pharmas pour revenir à un taux annuel de nouveaux médicaments mis sur le marché équivalent au taux des années 90. Externalisation veut dire échanges. Il s'agit là d'une occasion à saisir afin d'augmenter les transactions technologiques et industrielles entre l'université et l'industrie.

Deux, les médecins spécialistes se retirent de la scienceettechnologie, un processus graduel engagé il y a 35 ans aux États-Unis et au Canada. Selon l'indicateur des octrois obtenus de l'Institut de recherche en santé du Canada ou du National Institute of Health, l'âge moyen des médecins spécialistes encore engagés en science est de 55 ans et s'accroît. Les pharmaceutiques commencent tout juste à réaliser l'effet néfaste de ce déclin pour leur recherche clinique.

La troisième tendance est que les fonds publics pour la recherche scientifique au Canada seront plafonnés pour au moins sept ans en raison des débours considérables pour remédier à la récente crise économique. Cela devrait normalement diriger les chercheurs universitaires davantage vers les fonds privés en plus des fonds publics.

Toutefois, la quatrième tendance s'y oppose: la mentalité des universités résiste au changement et se trouve de longue date bloquée face à l'industrie. Pourtant, les politiques gouvernementales tant fédérale que provinciale veulent depuis une décennie déjà augmenter les échanges entre l'université et l'industrie et stimuler la médecine «translationnelle», mais sans grand succès. Les gouvernements réalisent la situation, mais ne savent pas encore comment contrecarrer ce ruineux fantôme.

Cinq, l'activité économique en biotechnologie stagne ou même diminue au Québec. Considérant le jeu des précédentes tendances, on ne peut s'en surprendre.

Dans un monde globalisant la compétition économique, la sixième tendance n'est pas la moins inquiétante. Pourtant, elle laisse encore indifférent. La Chine affiche une politique scientifique agressive. Elle rattrapera l'Europe et l'Amérique rapidement d'ici 20 ans. La Chine compte maintenant autant de scientifiques que l'Europe ou l'Amérique. Ses investissements en recherche augmentent de 25% annuellement et dépassent déjà ceux du Canada.

Surtout, la Chine rapatrie annuellement des seuls États-Unis 40 000 docteurs chinois en sciences alors que le Canada ne fait graduer que 4000 doctorants chaque année. La nouvelle économie de la science et de l'innovation technologique est-elle aussi en train de passer à la Chine?

D'où vient donc notre lenteur à nous alarmer devant l'imminence du danger économique? Nos scrupules à lancer de grands chantiers visant à concentrer nationalement nos ressources sur les forces scientifiques encore concurrentielles, ou à remotiver nos jeunes à s'orienter en sciences?

Cela vient probablement de notre embarras à envisager pour une nation une utilisation tactique de la science en raison de la nature profondément libre et impartiale de cette dernière. Nous y serons inévitablement forcés. Mieux vaut s'y atteler maintenant! Nos enfants le méritent.