Destructrice, la crise lézarde le système qui l'a engendrée. Une option est de colmater les brèches et de relancer, inchangée, la machine - jusqu'à la prochaine crise. L'autre est d'ouvrir au contraire ces brèches pour réorganiser durablement le réel, en changer non seulement le fonctionnement mais les logiques d'action, pour obtenir une organisation nouvelle, mieux adaptée aux considérables défis de l'heure.

La crise du capitalisme financier, entamée en 2008, se superpose à la crise écologique, celle d'une marche à peine freinée vers un réchauffement irréversible de la planète. Si les coûts risquent d'être élevés dans les pays du Nord, c'est une effroyable misère humaine qui pourrait être provoquée dans les plus pauvres des pays du Sud.

Selon l'ONU, sans changement de cap majeur, le réchauffement poussera sur les routes, en quelques décennies, un milliard de réfugiés. Ce défi masque à son tour celui de notre dangereuse surutilisation des ressources de la planète. Nous en captons aujourd'hui 30% de plus que ce qu'elle peut régénérer. Dans 20 ans, nous dépasserons de 100% la dose raisonnable.

Pour Imaginer l'après-crise, nous avons voulu, certes, mesurer l'ampleur de la tâche, mais aussi dégager des pistes de solution, avec l'aide de 10 collègues chercheurs et de notre invité, l'ex-premier ministre français Lionel Jospin. Pragmatique mais inquiet, ce dernier estime que le G20 a pour l'instant été trop timide. Il doit, écrit-il, faire bien davantage pour fermer les paradis fiscaux, réprimer la spéculation, réduire l'activité financière à sa fonction première.

Plus encore, le G20 n'a pas traité de la question de la répartition de la richesse, déséquilibrée en faveur du capital et au détriment des salariés depuis des décennies. Cela va au coeur du sujet, abordé par plusieurs de nos collègues: la finalité de l'économie. Est-elle au service de l'homme, ou l'homme doit-il continuer d'en être le serviteur?

Nous critiquons d'ailleurs, dans la première partie de l'ouvrage, l'hégémonie que les économistes ont exercée sur la formulation des politiques publiques depuis un quart de siècle. On a trop souvent évacué les autres facettes de l'expérience humaine: le citoyen ne vit pas que de sous, mais de réseaux sociaux et familiaux.

Nous notons que les altermondialistes ont eu raison dans leur critique du capitalisme depuis plus d'une décennie et que les solutions disparates qu'ils avancent sont intéressantes en plusieurs lieux, notamment en Amérique du Sud, mais peu applicables à grande échelle.

Nous notons l'incapacité de la gauche européenne de profiter électoralement de la crise, mais croyons que l'occasion est pourtant belle de réaffirmer et réinventer des solutions plus centrées sur la personne et son parcours de vie que sur les courbes du PIB.

En deuxième partie, nous posons la question qui tue. Le capitalisme lui-même, formidable créateur de richesse est une machine à augmentation perpétuelle de la production et de la consommation. Ce système est aujourd'hui le moteur emballé du Titanic collectif qui nous emmène tout droit sur une gigantesque banquise. Peut-on imaginer des réformes qui permettent, dans un premier temps, de dompter le capitalisme pour qu'il fasse plus de bien que de mal? Peut-on se préparer à le dépasser, pour qu'il ne soit plus le mode dominant de l'organisation humaine? Peut-on, finalement, rompre avec lui? C'est le débat que nous lançons

Jean-François Lisée et Éric Montpetit

Les auteurs sont respectivement directeur exécutif du Cérium et directeur du CPDS de l'Université de Montréal. Ils ont codirigé le livre Imaginer l'après-crise, publié ces jours-ci chez Boréal.