Nous, les centaines d'écrivains dans cette salle, ne pouvons prétendre parler comme si nous étions un État au nom de tous ceux que nous représentons, mais nous pouvons dire que nous représentons les milliers d'écrivains et d'éditeurs qui sont membres du Pen International dans plus de 100 pays. Cela fait 88 ans que Pen est la principale voix de défense et de promotion de la littérature dans sa réalité; et par conséquent défend et promeut une véritable liberté d'expression.

Tout au long d'un siècle de violences et de désordres sans précédent, nous avons oeuvré en faveur d'une parole libre. Des milliers de nos membres, et d'autres écrivains qui ne pouvaient être membres, sont morts pour s'être exprimés avec leurs mots, ont été emprisonnés, réduits au silence et forcés à s'exiler, ce qui constitue souvent une autre forme de réduction au silence.

Le formidable et impitoyable Thomas Bernhard a écrit que nos sociétés «enferment les grands penseurs dans nos bibliothèques, d'où ils nous dévisagent, condamnés au ridicule éternel» (The Loser, p.67). Les écrivains du Pen International s'évadent de ces bibliothèques pour pouvoir travailler et s'exprimer pour la cause fondamentale de nos civilisations: l'usage libre, créatif et actif des mots.

Nous ne pouvons accomplir ce que nous ne pouvons ni exprimer ni écrire. Nous ne pouvons pas non plus penser ce que nous ne savons dire. Le sentiment ne remplace pas l'écriture ou la réflexion, sans lesquels on court tout droit au populisme et non à la libre expression. La vie d'une société juste devient impossible si la littérature, et donc la langue, sont emprisonnées.

Ce ne sont pas seulement les systèmes autoritaires qui craignent l'imagination. Durant la dernière décennie, nous avons assisté à ce genre de confusion dans les démocraties occidentales. Et nous le constatons également dans les énormes systèmes (publics ou privés) minés et menés par le langage mort de l'efficacité administrative. Dans tous ces cas, cela revient de plus en plus, selon l'expression de Joseph Roth à «une question d'indifférence selon qu'un homme vive ou meure» (The Radetzky March). Indifférence du bourreau, indifférence de celui ou celle qui assiste à l'exécution.

Pen se consacre depuis longtemps à maintenir en vie les écrivains et à les sortir de prison. Cela fera 50 ans en 2010 que notre comité des écrivains en prison concentre ses efforts dans ce sens, avec une longue liste de succès. Et encore aujourd'hui, nous travaillons à la libération et la défense de 900 écrivains emprisonnés et persécutés. Nous travaillons de la création de réseaux qui aident les écrivains forcés à l'exil à recommencer leur vie et à conserver leur voix.

Les membres du Pen International m'ont entendu parler de l'importance de promouvoir le rôle de nos trois langues officielles. Mais aussi de l'importance de se préoccuper des langues et cultures minoritaires, car les plus faibles d'entre elles rencontrent un nouveau type de menace à la liberté d'expression. La simple force des langues internationales peut difficilement résister face à ce qui se résume à des structures intellectuelles impériales. Partout les langues indigènes et autres sont en danger de disparition, ce qui signifie que des littératures et des cultures disparaissent. Cela ne profite à aucun de nous. Il ne s'agit pas de progrès. C'est une régression de la complexité de cultures différentes qui apprennent à vivre ensemble.

John Ralston Saul

Extrait du discours prononcé par l'auteur le 21 octobre à l'occasion de son élection comme président du Pen International, une association d'écrivains faisant la promotion de la littérature et de la liberté d'expression.