Dans un débat mettant en cause les valeurs religieuses et le principe de laïcité, la justice doit-elle convenir de la primauté de Dieu ou donner préséance au caractère laïc des institutions publiques?

Cette délicate question peut resurgir à tout moment dans les litiges où s'emmêlent le multiculturalisme canadien, l'interculturalisme québécois, la diversité culturelle et la liberté religieuse à connotation identitaire.

La liberté de conscience et de religion fait l'objet d'une généreuse interprétation par la Cour suprême. De plus, le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés affirme la suprématie de Dieu et la primauté du droit.

Avant l'adoption du texte final de notre charte constitutionnelle en 1982, l'insertion tardive d'une référence à Dieu dans le préambule fut la dernière modification avant le rapatriement de notre constitution. Plutôt réfractaire à cette insertion, et sans trop y croire, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau avait cédé aux pressions de la députation libérale. Selon lui, Dieu n'avait rien à cirer d'être ou de ne pas être dans la constitution.

Pour comprendre l'attachement de plusieurs élus à une reconnaissance explicite de la suprématie de Dieu, un regard dans le rétroviseur de l'histoire s'impose.

En 1960, le premier ministre John Diefenbaker a fait adopter par le Parlement la Déclaration canadienne des droits. Cette loi fédérale reconnaît, dans son préambule, «que la nation canadienne repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu». Il est affirmé que «les hommes et les institutions ne demeurent libres que dans la mesure où la liberté s'inspire du respect des valeurs morales et spirituelles et du règne du droit».

Pendant le second conflit mondial, dans un contexte de fébrilité religieuse, la classe politique occidentale avait lié l'idéal chrétien à la promotion des droits de l'homme. Les élites protestantes et catholiques soutenaient le gouvernement de Mackenzie King pour contrer l'influence païenne du national-socialisme et défendre la civilisation chrétienne.

Plus tard, à l'époque du maccartisme américain, dans la lutte contre le communiste athée, la tradition chrétienne a servi de carburant au modèle démocratique. L'un des architectes de l'OTAN, Lester B. Pearson, alors ministre canadien des Affaires étrangères, a déclaré en 1953 que l'idéal chrétien devait guider la politique et l'action d'un gouvernement démocratique.

En 1959, le climat politique ne se prêtait pas à une révision constitutionnelle. L'ambitieux projet du premier ministre Diefenbaker se mua en peau de chagrin: l'instrument constitutionnel souhaité n'était plus qu'une simple loi fédérale. Des groupes de pression, incluant les églises protestantes et catholiques, montèrent aux barricades. On exigeait que la tradition chrétienne soit reconnue dans le texte de loi.

Au final, la Déclaration canadienne fut unanimement adoptée par les deux chambres du Parlement. Le ministre de la Justice, Davie Fulton, opina que le préambule de cette loi fondamentale consacrait les principes susceptibles de garantir la pérennité d'une démocratie libre et chrétienne.

Nulle part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïc, séculier ou neutre de l'État (canadien ou québécois) n'est-il affirmé. Ce sont les juges qui, à la pièce, ont façonné la reconnaissance de fait du principe de la séparation de l'Église et de l'État.

Notre charte constitutionnelle fait voir un pôle libéral individualiste: c'est une déclaration du citoyen. Ce sont donc les personnes (par opposition aux groupes) qui bénéficient de la liberté de religion. Mais, attention! Vu l'importance de la spiritualité dans une société diversifiée, le concept juridique de Dieu peut prendre du volume.

Dans la mesure où des personnes reliées à un groupe ou une collectivité ne doivent pas être discriminées sur la base de leurs croyances ou pratiques religieuses, la notion protéiforme de Dieu pourrait alimenter des revendications culturelles et identitaires... à connotation religieuse.

Comment savoir si, éventuellement, les tribunaux donneront préséance au principe non écrit de laïcité de l'État sur la suprématie de Dieu (et la liberté religieuse), celle-ci étant burinée dans le bronze de la constitution canadienne?

Au Québec, une affirmation forte du principe de laïcité par l'Assemblée nationale pourrait utilement remplir un vide juridique et orienter la démarche des juges.

Jean-C. Hébert

L'auteur est avocat.