En entamant le procès contre Omar Khadr à Guantanamo, le gouvernement américain s'engage sur une bien triste voie: il sera le premier gouvernement de l'histoire moderne à juger un enfant-soldat pour crimes de guerre. Ce cas sans précédent ne met pas seulement en péril la primauté du droit et de la procédure légale dans les cas de jeunes contrevenants, mais pire encore, il menace d'emprisonnement et de poursuite pour crimes de guerre des centaines de milliers d'enfants-soldats partout dans le monde.

En entamant le procès contre Omar Khadr à Guantanamo, le gouvernement américain s'engage sur une bien triste voie: il sera le premier gouvernement de l'histoire moderne à juger un enfant-soldat pour crimes de guerre. Ce cas sans précédent ne met pas seulement en péril la primauté du droit et de la procédure légale dans les cas de jeunes contrevenants, mais pire encore, il menace d'emprisonnement et de poursuite pour crimes de guerre des centaines de milliers d'enfants-soldats partout dans le monde.

On se souvient du jeune canadien qui en juillet 2002, grièvement blessé, a été capturé sur le champ de bataille par des soldats américains. Accusé d'avoir lancé une grenade qui aurait tué un soldat américain, Omar s'est retrouvé en captivité à Guantanamo où il a maintenant passé le quart de sa vie. En huit ans derrière les barreaux, il a été soumis à des sévices inhumains: on a menacé de le violer, abusé physiquement et psychologiquement de lui, et peut-être même torturé. Il a survécu à trois ans d'incarcération solitaire. Contrairement aux normes élémentaires d'administration pénale, Omar, mineur, s'est retrouvé incarcéré avec des adultes et soumis à des interrogatoires illégaux dont les méthodes risquent de lui laisser des séquelles psychologiques et physiques. C'est dans ces conditions déplorables qu'on a extrait du jeune Omar ces confessions qui seront retournées contre lui au procès de Guantanamo.

Soyons lucides. L'usage des enfants comme des armes bon marché, dont on peut disposer à souhait dans les combats modernes, constitue un nouvel état de fait troublant. Des milliers d'enfants ont été versés dans les rangs des combattants de la Colombie au Sri Lanka et de la Sierra Leone à l'Ouganda. Nos soldats constatent que cette même tendance se répète maintenant en Afghanistan, où des enfants sont non seulement envoyés se battre l'arme au poing, mais parfois parés d'explosifs et utilisés pour commettre des attentats-suicides.

Le Canada et les États-Unis ont été des leaders dans la lutte contre l'utilisation des enfants-soldats. Et pourtant, en rangeant maintenant un enfant-soldat au banc des accusés, nous minons tous nos efforts pour encourager les États qui ne le font pas encore de se conformer aux normes et conventions internationales sur le traitement des enfants touchés de la guerre.

Depuis 2000, le Canada, les États-Unis et 125 autres États ont adhéré au Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, ont versé des millions de dollars aux efforts de démobilisation, de réhabilitation et de réintégration des anciens enfants soldats et militent contre le recrutement et l'utilisation des enfants dans les conflits. Selon les normes et conventions établies, les enfants- soldats démobilisés sont des victimes qui ont été contraintes par les adultes à commettre des crimes graves.

C'est faire preuve d'hypocrisie que de nier à Omar Khadr les mêmes droits qu'à un ancien enfant-soldat de la Sierra Leone. Son procès menace tous les anciens enfants-soldats et sabote le travail acharné que nous avons effectué pour démontrer que les enfants-soldats peuvent être réhabilités. Le drame du cas d'Omar Khadr est que nous ne ressentons pas pour lui la compassion que nous témoignons envers les enfants-soldats d'ailleurs dans le monde. Pourquoi un jeune kényan ou ougandais de 15 ans tuant n'importe qui à la guerre serait-il une victime ayant besoin de réhabilitation, alors que s'il est accusé de s'en prendre à un soldat américain, il se retrouverait soudainement exclu de toute protection légale?

Le Canada peut avoir honte d'avoir laissé soumettre un des siens à un processus qui porte outrage au principe même de l'État de droit. Les États-Unis eux aussi peuvent avoir honte d'exploiter la détention d'un enfant pour établir un précédent justifiant un tribunal immoral et illégal.

L'urgence et la gravité de cette affaire exigent la suspension immédiate des procédures. Le Canada et les États-Unis devraient s'entendre sur un mécanisme qui aboutirait au rapatriement d'Omar, à sa réhabilitation et à sa réintégration dans la société canadienne.

* Lieutenant-général à la retraite et sénateur, M. Dallaire a commandé la mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR). M. Beah est l'auteur de A Long Way Gone: Memoirs of a Boy Soldier et un représentant de l'UNICEF originaire de la Sierra Leone.