Ce que j'ai surtout retenu du récent épisode du niqab au cégep Saint-Laurent, c'est le manque d'assurance dont semblent faire preuve de nombreux gestionnaires d'institutions publiques quand il s'agit de traiter – et en particulier de rejeter – une demande d'accommodement (qu'on ne voie pas dans cette remarque un blâme, mais une simple constatation).

Ce que j'ai surtout retenu du récent épisode du niqab au cégep Saint-Laurent, c'est le manque d'assurance dont semblent faire preuve de nombreux gestionnaires d'institutions publiques quand il s'agit de traiter – et en particulier de rejeter – une demande d'accommodement (qu'on ne voie pas dans cette remarque un blâme, mais une simple constatation).

En guise d'explication, on a souvent mentionné le manque de balises. Je crois que cette explication est insuffisante et en partie erronée. Après tout, le rapport de la commission que j'ai coprésidée consacre à ce sujet de longs développements. À propos du niqab justement, il est recommandé d'en interdire le port chez les agents de l'État et dans le milieu de l'éducation. Je crois plutôt que le problème tient en grande partie au fait que ce genre de propositions qui auraient recueilli un très large appui dans la population n'ont pas été relayées, diffusées et traduites en directives sur lesquelles les décideurs auraient pu s'appuyer en toute confiance.

L'incertitude qui entoure le respect de l'égalité homme-femme offre un autre exemple d'une balise qui a été clairement énoncée dans le rapport et qui est restée sans suite. En m'inspirant de cet énoncé, j'aimerais soumettre à la réflexion une proposition qui, me semble-t-il, serait de nature à assurer une protection adéquate à cette valeur fondamentale tout en facilitant la tâche aux décideurs en matière d'accommodements.

Ma proposition réfère à toute demande d'accommodement où l'égalité homme-femme se trouve en compétition avec un autre droit de telle manière que, si la demande était agréée, elle installerait la femme dans un statut d'infériorité par rapport à l'homme (je dis «statut», il s'agit donc d'une question de principe général et non du sort de telle ou telle femme en particulier qui serait visée dans la demande). Dans ce cas, je crois que l'égalité homme-femme devrait bénéficier d'une préséance ad hoc (ou contextuelle). La légitimité et la légalité de cette disposition me paraissent découler:

a) de l'article 9.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, selon lequel les libertés et droits fondamentaux doivent s'exercer dans le respect des valeurs démocratiques de notre société;

b) de l'article 10 de la même Charte, interdisant toute forme de discrimination fondée sur le sexe;

c) de l'article 50.1, ajouté en 2008, selon lequel «les droits et libertés énoncés dans la présente Charte sont garantis également aux femmes et aux hommes»;

d) du préambule de la Charte, selon lequel «le respect de [...] l'égalité entre les femmes et les hommes [entre autres]» est l'un des «fondement[s] de la justice, de la liberté et de la paix»;

e) de la sensibilité particulière que les Québécois ont développée à l'égard de cette valeur universelle (pensons notamment au rapport contraignant et humiliant auquel l'Église catholique québécoise a soumis les femmes en général);

f) du rapport de la commission Bouchard-Taylor où on peut lire que: «Dans le secteur des soins de santé comme dans tous les services publics, cette valeur [l'égalité homme-femme] disqualifie, en principe, toutes les demandes ayant pour effet d'accorder à la femme un statut inférieur à celui de l'homme» (p. 20, alinéa 1).

Il s'ensuit que, dans la limite et dans l'esprit qui viennent d'être indiqués, il est légitime et pertinent d'accorder au critère de l'égalité homme-femme, dans un contexte donné, un poids supérieur au poids combiné de tous les autres critères intervenant dans l'examen d'une demande d'accommodement, ce qui en pratique rend ce critère peu susceptible d'être subordonné.

Par ailleurs, on convient que cette disposition générale pourra être infléchie de diverses façons s'il entre en jeu des considérations tenues pour supérieures dans notre société. Par exemple, dans un établissement de santé pour personnes âgées, tous s'accordent pour que, dans la mesure du possible, les soins intimes soient prodigués par des personnes du même sexe, ce qui déroge pourtant à la règle de l'égalité homme-femme; c'est alors la dignité humaine et plus précisément la pudeur qui est en jeu. Depuis mars 2010, et pour la même raison, une convention similaire prévaut pour l'inspection physique des passagers dans les aéroports québécois et canadiens. Tous s'accordent aussi pour qu'une jeune fille ou une femme violée soit prise en charge de préférence par un personnel professionnel féminin (policière, psychologue, etc.).

D'autres situations d'exception du même genre peuvent survenir qu'il est impossible de prévoir, ce qui interdit d'octroyer à l'égalité homme-femme une préséance formelle inscrite dans une loi ou dans la Charte (elle y figure déjà comme clause interprétative). On voit ici la nécessité de maintenir le principe de l'interdépendance des droits qui sous-tend la philosophie des chartes. Il est utile également de rappeler qu'aucun droit n'est absolu, même le droit à la vie : on envoie des soldats au front, on autorise des sports extrêmes, on s'ouvre de plus en plus à l'euthanasie, etc.

En dépit du poids éminent qu'il convient de lui donner concrètement, il serait donc contraire à l'esprit de cette proposition que de vouloir l'insérer dans un texte constitutionnel. Elle doit conserver son caractère ad hoc ou contextuel. Mais elle pourrait faire l'objet d'une déclaration solennelle ou d'une motion adoptée par l'Assemblée nationale ainsi que d'une intense promotion parmi la population, tout spécialement auprès des gestionnaires d'institutions publiques et privées chargés de traiter les demandes d'accommodement.

Enfin, la présente proposition devrait être prolongée pour lui annexer des critères permettant de déterminer ou de reconnaître concrètement les situations où la femme se trouve effectivement installée dans un statut d'infériorité.