La sortie de Lucien Bouchard contre le virage identitaire de son ancien parti n'aura aucun effet au PQ.

La sortie de Lucien Bouchard contre le virage identitaire de son ancien parti n'aura aucun effet au PQ.

Déjà, hier, les péquistes, furieux, serraient les rangs en l'accusant, sans l'ombre d'une preuve, de collusion avec Jean Charest. Il y a longtemps que les péquistes détestent Lucien Bouchard, qu'ils lui reprochent son conservatisme social et sa tiédeur souverainiste... et le sentiment est réciproque. C'est, on s'en souvient, la relation exécrable qu'il entretenait avec l'aile militante de son parti qui a motivé, bien plus que toute autre chose, sa fracassante démission de l'hiver 2001.

Sauveur de la cause durant la campagne référendaire de 1995, M. Bouchard était devenu, cinq ans plus tard, persona non grata au sein de ce parti notoire pour sa dureté envers ses chefs, Jacques Parizeau excepté.

En revanche, le blâme très clair que l'ancien leader péquiste vient d'exprimer envers le « radicalisme » du PQ aura son effet dans la population, où M. Bouchard reste un homme respecté, considéré comme un nationaliste sincère et un souverainiste modéré. Les mêmes reproches, dans la bouche d'un fédéraliste, n'auraient pas la même portée.

M. Bouchard n'avait peut-être pas prémédité cette sortie. S'il l'avait fait, il aurait mieux choisi ses mots et aurait développé sa pensée plus longuement, et il se serait probablement abstenu, par dignité, de procéder à un règlement de comptes familial en reprochant à Pauline Marois d'avoir dénigré son frère Gérard. Mme Marois l'avait comparé à un personnage ringard (Elvis Gratton) après que le coprésident de la commission Bouchard-Taylor eût parlé des Québécois «d'origine canadienne française», ce qui était du reste une expression parfaitement juste dans le contexte. Mais enfin, cet incident ne valait pas le gros ressentiment que M. Bouchard affichait l'autre soir («Je n'oublierai pas ça...»). Pour des hommes publics, les frères Bouchard ont l'épiderme bien sensible.

Cela dit, les reproches visent au coeur du problème actuel du PQ. En reprenant le discours ethnicisant de la droite nationaliste, en se repliant sur la notion du « nous » et en se réclamant d'un laïcisme radical et abstrait qui n'a aucune racine dans l'histoire du Québec et dont on se demande s'il ne cache pas simplement un refus de la différence, le PQ est effectivement en train de trahir l'héritage de l'homme ouvert et tolérant que fut René Lévesque. Ce genre de stratégie, basée sur l'obsession identitaire, peut être rentable politiquement (Mario Dumont en a bénéficié en 2007), mais ce serait une victoire sans honneur, dont le prix aurait été de semer d'irrémédiables divisions parmi les Québécois.

L'autre volet «choquant» de l'intervention de M. Bouchard porte sur la souveraineté, un thème qu'il avait toujours refusé d'aborder de front depuis son retrait de la politique. Il avait même refusé d'accorder une interview à l'équipe de la CBC qui avait réalisé, il y a quelques années, un documentaire sur le référendum de 1995.

Il était assez évident, toutefois, que M. Bouchard n'est pas exactement étouffé par la ferveur souverainiste. Il se dit aujourd'hui, du bout des lèvres, encore souverainiste... Mais il ne croit pas que ce serait la solution aux problèmes du Québec. En fait, il n'y croit plus du tout, puisqu'il prédit qu'il ne verra pas un autre référendum «de son vivant». Compte tenu des probabilités statistiques sur l'espérance de vie des gens de son milieu socio-économique, M. Bouchard a un bon quart de siècle devant lui. Aussi bien dire que la souveraineté n'adviendra jamais ! Il n'a même pas soulevé la possibilité qu'une conjoncture imprévue ravive l'intérêt de la population pour la souveraineté. C'est dire que la chose ne l'intéresse plus du tout.