Barack Obama fait un pari en Afghanistan. En augmentant le nombre de troupes américaines pour une période limitée et en recadrant les objectifs de l'intervention internationale, le président américain espère consolider les acquis des huit dernières années afin de permettre aux Afghans de prendre en main leur destinée.

Sa décision a été saluée comme une marque de leadership et de lucidité. Elle l'est, d'autant plus que la situation dans ce pays n'est ni désespérée ni perdue. En effet, le président a choisi une option différente de celle de son prédécesseur: son plan vise à réussir certains des objectifs de l'intervention internationale plutôt que de seulement écraser les talibans et lutter contre al-Qaeda. La distinction est importante, car elle conditionne les attentes des opinions publiques, concentre les efforts sur ce qui est essentiel, mobilise la communauté internationale et bride la tentation, toujours très présente dans certains cercles à Washington, d'augmenter sans cesse la mise afin de gagner pour gagner.

 

En dépêchant un nouveau contingent de 30 000 militaires, auquel pourraient s'ajouter quelques milliers d'autres provenant des alliés de l'OTAN, le président se donne les moyens de stabiliser la situation sur le terrain en concentrant ses efforts sur la protection des grands centres et de plus de 80% de la population. La stratégie qui visait à contrôler absolument tout le territoire - jamais en deux siècles le gouvernement afghan n'a réussi cet exploit - est rejetée, car inefficace et coûteuse. Le plan Obama vise plutôt à isoler les talibans tout en permettant aux autorités afghanes de consolider leur présence et de se doter de forces de sécurité en mesure d'agir sur une bonne partie du territoire.

Si les médias ont mis l'accent sur l'aspect militaire de la nouvelle stratégie du président américain, celle-ci offre aussi des options diplomatique, politique et civile non négligeables. Sur le plan diplomatique - et saluons l'effort de l'administration Bush de l'avoir amorcé - Washington veut consolider le partenariat avec le Pakistan dont la centralité dans la lutte au terrorisme et aux insurgés talibans est incontournable. Ici, le diplomate de choc qu'est Richard Holbrooke joue déjà un rôle essentiel dans le renforcement de ce partenariat et dans les efforts visant à convaincre l'Inde et le Pakistan de joindre leurs moyens face à la cause commune. La partie n'est cependant pas gagnée, les deux pays s'accusant l'un l'autre des plus noirs desseins.

En Afghanistan même, le président Obama avertit le gouvernement Karzaï qu'il veut des résultats probants et concrets tant sur le plan de la gouvernance que sur celui du développement. L'effort financier colossal consenti par la communauté internationale depuis huit ans donne des résultats, mais la fragilité des institutions conjuguée à la corruption, à l'insuffisance des infrastructures et à l'immensité du territoire ne permet pas d'atteindre rapidement tous les objectifs. Obama espère redynamiser cet aspect de l'intervention internationale en renforçant le gouvernement afghan et les autorités locales afin que le développement social et économique ne souffre trop des carences d'un État qui demeurera pour longtemps embryonnaire et sujet à toutes les influences. La proposition de déployer encore plus de coopérants civils afin de prêter main-forte à Kaboul est donc une bonne idée, mais personne ne doit se faire d'illusion, la reconstruction du pays prendra des décennies.

Obama, et de ce fait même la coalition internationale en Afghanistan, se donne quelque 18 mois pour stabiliser la situation sur place et doter le pays et sa population de nouveaux moyens. Cela va dans la bonne direction. En même temps, nous devons absolument comprendre que les résultats à moyen et long termes restent incertains compte tenu du sous-développement du pays et des contraintes sociales, culturelles, géographiques et économiques. La question afghane va occuper pour longtemps le devant de la scène. Il faut aider, tout en évitant l'enlisement. Voilà le pari d'Obama.