Au XXe siècle, la poliomyélite a fait de graves ravages. Elle a manifesté un cycle de 15 ans, avec des épidémies majeures en 1916, 1931 et 1946 - sans épargner les années intermédiaires.

En 1946, interne en pédiatrie, j'ai participé aux soins des enfants hospitalisés. L'hôpital avait, outre son édifice central, des pavillons séparés, et l'un de ces bâtiments était consacré pour l'été à la poliomyélite. Il y avait des enfants en «poumon d'acier», leurs muscles respiratoires ayant été atteints. Tous nos patients avaient subi la paralysie d'au moins un membre, et la physiothérapie ne réussissait pas souvent à la renverser. La maladie pouvait aussi être mortelle.

 

L'incidence de la polio en 1947, et dans les années suivantes, a été moindre, mais toujours significative. Regardant l'avenir, nous nous attendions à une nouvelle grande épidémie en 1961. Mais l'épidémie de 1961 n'a pas eu lieu; une découverte médicale est intervenue.

En 1955 nous avons été convoqués à une présentation télédiffusée dans un hôtel du centre-ville. C'était l'annonce du vaccin Salk. Peu de temps après, nous avons commencé à le recevoir et l'administrer. Il n'y a jamais plus eu d'épidémie de poliomyélite au Canada.

Dans les pays moins développés, cependant, la maladie a continué de sévir. Lorsque le cardinal Paul-Émile Léger a quitté son poste d'archevêque de Montréal en 1967 pour aller travailler en Afrique, l'une de ses grandes réussites a été la création en 1972, à Yaoundé au Cameroun, d'un centre pour enfants handicapés - et ces enfants étaient, en forte majorité, handicapés par la poliomyélite. Il a fallu beaucoup de temps, d'effort et de générosité pour enfin maîtriser la maladie à l'échelle mondiale.

Parlons d'autres maladies. La diphtérie, avec un taux de mortalité de plus de 30%; la variole, à létalité comparable; le tétanos, fatal à presque 100% - si ces maladies, toujours des réalités en 1946, sont aujourd'hui inconnues, c'est parce que dans chaque cas, un vaccin a été développé et généralisé.

Les dernières décennies ont vu l'apparition de vaccins contre un éventail considérable de maladies. La mortalité infantile a ainsi été grandement réduite par comparaison à ce que j'avais connu au début de ma pratique, et aussi les complications et les séquelles, souvent graves, de ces maux.

Oui, on rencontre de temps en temps des effets indésirables des vaccins - mais ils sont en très forte majorité mineurs et ne peuvent absolument pas se comparer aux dangers des maladies elles-mêmes. La notion que l'on est mieux d'affronter les virus et les bactéries dans un contexte «naturel» que de les recevoir sous forme de vaccins, où ils sont rendus inoffensifs, mais conservent leur identité suffisamment pour engendrer l'immunité, est tout simplement farfelue. Nos enfants sont en meilleure santé aujourd'hui, et sont mieux protégés contre de nombreuses menaces de mort ou d'infirmité, que ceux et celles de ma génération.

Les maladies auxquelles j'ai fait allusion sont pratiquement disparues, mais leurs microbes sont toujours présents en latence. Nous ne pouvons pas nous permettre de conclure que les immunisations ne sont plus nécessaires: là où par mégarde ou par incompréhension la protection est devenue moins généralisée, il y a eu recrudescence des maladies. (Il y a une seule exception: la variole semble être totalement disparue du monde, et nous avons cessé cette immunisation - mais le virus est conservé en laboratoire au cas où le vaccin redeviendrait nécessaire.)

En faisant face à une épidémie comme celle de l'influenza, la transmission de la maladie - qui se fait notamment en gouttelettes éternuées, toussées ou simplement respirées - ne peut être contrecarrée. En autobus, en métro, en train, en avion, au magasin, au cinéma, on risque fort d'être exposé. La personne vaccinée court beaucoup moins de risque - ce qui est avantageux pour elle-même, et l'empêche d'en contaminer d'autres

La vulnérabilité de la personne non vaccinée n'est pas simplement personnelle. Elle est celle de la société tout entière. Nous avons, chacun et chacune, une responsabilité collective. Nous devons empêcher la contamination en chaîne, en nous faisant immuniser tout un chacun, par ordre de priorité au fur et à mesure que le vaccin deviendra disponible. Nous ne stopperons pas absolument l'épidémie de 2009, mais nous l'atténuerons de façon significative.