Le discours sur l'hypersexualisation, sans véritables fondements scientifiques, pourrait mener à de fâcheuses conséquences chez les jeunes adultes. Culpabilisation et stigmatisation pourraient bien être les effets pervers et non voulus d'une généralisation de cas particuliers ou, disons-le, extrêmes.

Combien de jeunes, à la suite du passage du discours sur l'hypersexualisation, se voient coller par leurs camarades - ou encore par leurs enseignants! - l'étiquette «hypersexualisés» ou, pour caricaturer à peine, «déviants»? A-t-on mesuré les impacts a posteriori de ce discours?

 

Les campagnes menées dans les écoles et dans les médias, exhibées en public sous l'appellation «sensibilisation», pourraient bien constituer dans les faits de vains émois, voire la construction pure et simple de ce phénomène. Très répandues et alarmistes, leurs homélies ne ratent pas leur cible: la plupart des jeunes à qui j'enseigne y adhèrent et y croient. Ils ont intériorisé cette morale: «l'hypersexualisation est partout, et c'est mal!» Et lorsqu'on leur demande s'ils ont des exemples de cela, ils rapportent inlassablement le cas classique «des fellations dans les cours d'école». Est-ce vraiment un fléau? «Oui, me disent-ils, on en parle à la télé! «

Or, si l'on suit les conclusions des plus récents travaux publiés par des chercheurs du département de sexologie de l'UQAM, rien ne permet de démontrer l'hypothèse que les individus ont des relations sexuelles de plus en plus précoces. A contrario, il faudrait même attendre 18 ans pour que la majorité d'entre eux aient déjà eu des relations sexuelles!

Aussi, dure attaque contre les vitupérateurs de l'hypersexualisation: la vaste majorité des jeunes ont leurs premières relations sexuelles alors qu'ils sont en couple, en «amour»: 85% chez les filles, 83% chez les garçons, une augmentation de 10% depuis les 10 dernières années. Le sexe en mal d'amour?

D'un autre côté, on ne semble pas remarquer au deuxième niveau le potentiel de culpabilisation face à la sexualité et la honte que l'on peut faire naître chez de jeunes individus «sensibilisés» avec succès au phénomène: «Je viens d'avoir 16 ans, je suis avec mon copain depuis six mois, on se sent prêts à faire l'amour ensemble. Suis-je normale? Hypersexualisée?»

Cette fois, la condamnation de certaines pratiques ou perceptions de la sexualité ne nous vient pas de l'Église, mais possède l'originalité d'émaner directement des cabinets de certains sexologues, ou de quelques professeurs d'université. Ce qui laisserait croire, dans un monde où la religion est en déclin - autre phénomène qui doit être sociologiquement démontré! - que les entrepreneurs de morale ont changé d'institution.

D'un point de vue historique, saint Paul établissait déjà, au premier siècle, une hiérarchie des péchés où figurait celui contre notre propre corps et la chair. Au temps de saint Paul, le corps était décrit comme «le Temple de l'Esprit de Dieu», une chose sacrée dont on ne pouvait disposer n'importe comment. Dans cette catégorie, le fondateur de la morale chrétienne désignait la prostitution, l'adultère, l'acte sexuel relié au plaisir - et non à la reproduction - et les masculorum concubitores (rapports sexuels entre hommes).

D'aucuns soutiendront que cette époque est désormais révolue. La société moderne est plus indulgente devant l'adultère et l'infidélité, plus clémente face aux relations sexuelles avant le mariage et surtout, signe distinctif d'évolution, l'homosexualité n'est plus un délit, ou pire, une pathologie. Nous pourrions ainsi dire que les modernes disposent de leurs corps à leur guise.

Mais à l'arrière-plan, les choses ont-elles vraiment évolué? Pour ce qui est de l'Église, bien que cela puisse être discuté, on avait au moins le mérite d'offrir le salut à ceux qui suivaient ses principes moraux: «hors de l'Église, point de salut», disait-on. Mais qu'en est-il des retombées du discours moral autour de l'hypersexualisation? Les «péchés de la chair» se seraient-ils transformés en «hypersexualisation»?