Brièvement conseillère municipale d'un petit village des Cantons-de-l'Est et coordonnatrice depuis plusieurs années d'un organisme à but non lucratif, j'ai été rapidement scandalisée de la façon dont sont gérées les subventions provinciales destinées aux travaux publics.

Obligée de produire une tonne de justifications pour chaque dollar dépensé par mon organisme, j'ai en effet constaté que les mêmes règles ne s'appliquaient pas au secteur municipal. Il est tellement facile, légal et ordinaire de dilapider des dizaines de milliers de dollars de fonds publics pour asphalter un bout de chemin sur lequel il ne passe jamais personne, à part monsieur le maire, que c'en est vraiment déroutant...

Les budgets de voirie dépendent essentiellement de la bonne qualité des relations entre le maire et le député. C'est en effet ce dernier qui détermine, «en collaboration avec les municipalités et les MRC», les montants qui seront alloués à des fins d'amélioration du réseau local dans sa circonscription électorale. Quant aux compensations allouées à des fins d'entretien, elles sont inconditionnelles et le ministère des Transports annonce candidement sur son site internet qu'il ne vérifie même pas l'utilisation des fonds.

Dans notre village, comme dans beaucoup d'autres, vous pourrez chercher longtemps les indicateurs de fréquentation et d'état des routes sur lesquelles devraient théoriquement être prises les décisions. Et la plupart des contrats de voirie sont accordés au même entrepreneur, année après année, sans que personne ne s'en offusque (sauf les nouveaux venus, qui finissent par s'habituer). Le système est tellement ancré que bien souvent, on ne retrouvera plus qu'un seul soumissionnaire pour répondre aux appels d'offres...

En conséquence, ma fille de 15 ans sait maintenant que les routes ne servent pas à faire rouler des voitures, mais à gagner des élections.

L'asphalte de monsieur le maire, c'est plutôt folklorique. Mais quand on se met à parler de travaux majeurs, comme l'installation d'un système d'épuration des eaux usées, la situation est encore moins drôle. Une fois son contrat signé avec la grosse firme d'ingénieurs qui va chercher au fédéral et au provincial les subventions requises par des travaux dont elle assurera ensuite la maîtrise d'oeuvre, une petite municipalité sera pieds et poings liés face à cette dernière.

Comme la firme en question sera rétribuée en fonction d'un pourcentage sur le montant total des travaux, elle choisira généralement l'option la plus coûteuse, même si celle-ci n'est pas la plus adaptée au contexte local. La petite municipalité n'aura pas les ressources requises pour évaluer la validité de l'option retenue par la firme, ni pour surveiller son «maître d'oeuvre» durant la réalisation des travaux. Et si des défauts apparaissent, elle n'aura pas non plus les moyens de se défendre en cour face à son puissant fournisseur, même si celui-ci a tourné les coins ronds.

Dans les deux cas, ce sont des causes structurelles qui provoquent le gaspillage d'argent public. Des enquêtes au cas par cas permettront de colmater quelques fissures, mais si les fondations sont pourries, ça ne servira pas à grand-chose.