L'équilibre financier du Régime de rentes du Québec est menacé à long terme pour deux raisons. Les mauvais placements de la Caisse de dépôt et placements ont causé un important trou financier estimé à 9 milliards de dollars. La seconde raison tient à des causes structurelles. Les retraités vivent plus vieux que prévu dans les modèles actuariels, les cotisants prennent leur retraite plus tôt (l'âge moyen est de 62 ans) et il y a moins de cotisants à cause de la dénatalité passée. Le manque à gagner dû à ces causes est estimé à environ 2 milliards.

Deux avenues s'offrent pour rétablir l'équilibre financier: hausser les taux de cotisations - ce qui entraînera l'accentuation des iniquités entre générations - ou encore revoir les types de rentes afin de les ajuster aux nouvelles réalités sociales, 43 ans après la mise en place du Régime.

La Régie des rentes propose deux grands scénarios. D'un côté, elle estime qu'il faudrait augmenter les cotisations de 9,9% à 12% environ pour rétablir l'équilibre financier à long terme sans modifier les types de rentes actuellement en vigueur.

L'autre solution est un compromis; elle consiste en une hausse moindre du taux de cotisation (" 0,5% étalée sur cinq ans) et une série de changements aux dispositions du Régime à long terme, sans remettre en cause les acquis des retraités actuels.

Le premier scénario pénaliserait injustement les jeunes générations de cotisants. L'analyse que nous avons présentée en commission parlementaire montre avec évidence que les hausses rapides des taux de cotisations au Régime de rentes du Québec entre 1987 et 2002 ont eu un important effet générationnel. Les jeunes générations de travailleurs ont cotisé et cotiseront une part de leurs revenus beaucoup plus élevée que les autres générations, alors que leurs revenus réels n'ont pas augmenté aussi rapidement. Toute hausse des cotisations - même modérée comme celle proposée dans le scénario 2 - accentuera encore l'effet de génération, augmentera l'effort demandé aux plus jeunes.

Il faut plutôt revoir les types de rentes et les dispositions prévues par le régime, à commencer par la rente d'invalidité entre 60 et 65 ans, actuellement calculée selon des critères généreux, ou encore la rente de conjoint survivant, puisque la situation des femmes vivant en couple est maintenant très différente de celle de leurs grand-mères en 1966. Il y va de l'équité entre générations de femmes (et d'hommes, bien sûr!). Transformer la rente viagère de conjoint survivant en rente temporaire de 10 ans est un bel exemple de mesure raisonnable et dont la transition est bien planifiée dans la proposition soumise par la Régie des rentes.

Mais il faut faire davantage. D'autres avenues s'imposent et les analyses de la Régie des rentes sont explicites: le régime public doit engranger plus de cotisations (et non seulement hausser les taux). L'une des causes de la crise anticipée du Régime de rentes tient au fait que les Québécois travaillent moins longtemps, donc cotisent moins au régime, et qu'il y a moins de travailleurs cotisants que prévu, ce qui affecte le ratio retraités/cotisants. Il faut donc agir dans cette direction et favoriser une hausse de la participation au marché du travail.

On sait par des enquêtes que bon nombre de travailleurs à l'approche de l'âge de la retraite désirent garder un emploi, mais à des conditions différentes, moins stressantes. Le grand défi des prochaines années sera donc de concilier le travail et le loisir en fin de vie active, comme on a réussi à favoriser la conciliation travail-famille par des politiques novatrices qui correspondent aux besoins des jeunes couples avec enfants et qui font l'envie d'autres sociétés.

Il faut collectivement revoir la représentation de la «liberté 55» dans notre société où l'espérance de vie dépasse maintenant les 80 ans. Si on travaille moins longtemps, ce sont les jeunes qui paieront la note, les chiffres le montrent. Il ne s'agit pas de forcer qui que ce soit à travailler plus longtemps s'il ne le désire pas. Il s'agit plutôt de lever les obstacles qui empêchent ceux qui le veulent de rester en emploi, selon des horaires souples à aménager par exemple.

Diverses mesures doivent être mises à l'essai, à commencer par la levée de rigidités dans les conventions collectives et les lois du travail, sans oublier la bonification des rentes versées à ceux qui cotiseront davantage. Plusieurs mesures ont été identifiées par la Régie et on doit aller de l'avant en ce sens.

La Régie est cependant timide dans l'énoncé des mesures à prendre. Par exemple, pourquoi ne pas hausser l'âge de la pré-retraite de 60 à 62 ans, suivant en cela l'exemple du Danemark? On pourrait aussi mettre en place des mesures fiscales comme il en existe pour les familles avec enfant ou pour le retour en emploi des bénéficiaires de l'aide de dernier recours.

Si on ne change rien, les jeunes paieront davantage et ce sont eux qui écoperont lorsque le temps de leur propre retraite sera venu.

Le Régime de rentes du Québec est basé depuis sa création sur le principe de la solidarité. Le temps est venu de considérer un autre principe fondateur qui doit aussi l'orienter: l'équité entre les générations.