La semaine dernière, le premier ministre Stephen Harper a prononcé quelques mots soigneusement choisis pour éviter de répondre aux questions visant à déterminer si la vente des actifs de Nortel à Ericsson constituerait un bénéfice net pour le Canada.

Ce qu'a dit le premier ministre revient en gros à annoncer qu'il étudie actuellement la possibilité d'étudier le dossier: «Il existe une procédure visant à assurer que les transactions sont examinées quand elles sont d'une certaine importance et pour s'assurer qu'elles vont dans l'intérêt du Canada. Cette procédure sera respectée.»

Mais qu'entend le premier ministre par «procédure existante»?

Actuellement, la Loi sur Investissement Canada exige que le ministère de l'Industrie examine la vente d'une entreprise canadienne à des intérêts étrangers si l'entreprise canadienne est estimée à plus de 312 millions de dollars. Étant donné la valeur actuelle des actions de Nortel, sa valeur sera insuffisante pour entraîner un examen de la vente par le ministère de l'Industrie. M. Harper est certainement au courant de ce fait, et sait donc ce que le ministère recommandera vis a vis le besoin d'une étude approfondie.

Ce que M. Harper fait bien attention de ne pas dire, c'est qu'il y a quelques mois, le Parlement a adopté le projet de loi C-10, qui change fondamentalement les règlements qui entourent l'investissement étranger. L'article 448 du texte de loi présenté par le ministre des Finances, Jim Flaherty, considère non pas la valeur comptable d'une entreprise mais sa valeur totale. Avec une valeur totale estimée à environ 1,2 milliard, Nortel correspond largement aux critères selon lesquels un examen doit avoir lieu.

Bien que ces modifications à la Loi sur Investissement Canada aient été adoptés au Parlement, les dispositions d'entrée en vigueur stipulent que les nouvelles règles ne seront approuvées que lorsque le Gouverneur en conseil, autrement dit le Cabinet, le décideront. Donc, bien que ces nouvelles mesures aient été adoptées, elles n'ont pas encore force de loi. Pour que le texte devienne effectivement loi, il faut que quatre ministres signent un décret.

Bien que M. Harper et son ministre de l'Industrie, Tony Clement, soient restés endormis aux commandes jusqu'à maintenant, ils devront se réveiller et tenir compte de paramètres très importants lorsqu'ils prendront leur décision. Par exemple, ils devront se demander quel autre pays du monde autoriserait une telle vente sans s'assurer au moins qu'elle va dans son intérêt national?

Nortel est un pilier de la recherche-développement dans le secteur privé au Canada depuis des décennies, et a souvent, à elle seule, constitué un tiers du total canadien dans ce secteur. Encore aujourd'hui, l'entreprise est en tête de la liste. La vente actuellement envisagée des actifs sans fil de Nortel risque de voir le Canada céder à l'étranger une technologie LTE (Long Term Evolution) de 4e génération extrêmement prometteuse au plan commercial. Le gouvernement actuel comprend-il bien ces enjeux?

Par ailleurs, l'argent des contribuables a été investi massivement pour aider à fonder Nortel ainsi qu'à développer ses nombreux brevets et tout ce qui relève aujourd'hui de sa propriété intellectuelle. Ces brevets ont-ils une valeur pour le Canada et les Canadiens?

Mais surtout, sommes-nous certains que la vente proposée constituerait un bénéfice net pour le pays? Y a-t-il une autre solution qui servirait mieux l'intérêt national ? Quand il a témoigné devant le comité parlementaire la semaine dernière, le coprésident de Research in Motion, Mike Lazaridis, a proposé au ministre de l'Industrie de convoquer une réunion de toutes les parties intéressées pour voir si une solution commune pourrait être trouvée dans l'intérêt à la fois des Canadiens et des entreprises concernées. Le ministre n'a toujours pas répondu. Pourtant, il s'agit de la meilleure initiative possible et d'un excellent premier pas pour résoudre les différends.

Tout dépend en fait de Stephen Harper. Tout ce que nous lui demandons, c'est d'honorer l'esprit de son nouveau projet de loi et de demander un examen. Cédera-t-il à son indifférence et à son laisser-faire habituel? Ou bien mobilisera-t-il les nouveaux pouvoirs demandés par son gouvernement et approuvés par le Parlement, pour s'assurer que la vente de Nortel va bien dans l'intérêt du Canada?

Marc Garneau est porte-parole libéral responsable de l'industrie, des sciences et de la technologie. John McCallum est porte-parole libéral responsable des finances.