Un des débats les plus intéressants au sujet de l'avenir de la fédération canadienne concerne la place relative qu'y tiennent l'ambiguïté et la clarté.

Certains politicologues se désolent, quand ils comparent notre pays à d'autres fédérations, de la nature changeante de nos institutions intergouvernementales et de l'absence relative de règles de décision officielles pour résoudre les désaccords entre les différents gouvernements. On cite souvent en exemple l'Union européenne et l'Australie où il existe une procédure régularisée ainsi que des organismes intergouvernementaux bien implantés.

 

Les professeurs Martin Papillon et Richard Simeon soutiennent qu'au Canada, les relations intergouvernementales ne sont pas assez institutionnalisées et que l'improvisation y a une trop grande part. Ils constatent qu'ici, le principal organisme responsable de régler les différends, la Conférence des premiers ministres qui regroupe les premiers ministres provinciaux, les chefs des territoires et le premier ministre du pays, constitue le «maillon faible»: ses rencontres sont rares, n'ont pas lieu sur une base régulière et ne bénéficient d'aucun soutien institutionnel, ce qui les rend inaptes à rendre des décisions officielles.

D'autres spécialistes, par contre, considèrent que cette ambiguïté et l'absence de règles de décision explicites pourraient avoir un effet bénéfique. Ainsi, les accords intergouvernementaux et les règles qui régissent les institutions fédérales sont souvent rédigés de façon ambiguë afin d'éviter d'alimenter les conflits quand vient le temps de traiter de sujets délicats.

Un bon exemple de cette situation, c'est la motion adoptée en 2006 reconnaissant que les Québécois forment «une nation au sein d'un Canada uni». On peut interpréter de toutes sortes de façons les termes «nation» et «Québécois». Pour les nationalistes québécois, le terme «nation» peut signifier un État reconnu par les lois internationales alors que d'autres verront plutôt ce terme d'un point de vue sociologique.

Même le Renvoi relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême et la Loi sur la clarté référendaire, que les fédéralistes considèrent comme d'excellentes mesures qui imposent des règles au débat sur la séparation, sont en fait délicieusement absurdes. La Cour suprême n'a pas pris la peine de spécifier ce qu'elle entendait par majorité «claire» et question référendaire «claire». Quel pourcentage serait suffisant? Est-ce qu'on demande 53%, 60%?

Grâce à l'ambiguïté, des sujets explosifs ne sont pas discutés sur la place publique. Elle permet la conclusion d'ententes complexes qui peuvent donner lieu à toutes sortes d'interprétations. Lorsque utilisée de façon créative, elle permet au système fédéral de naviguer sur des eaux relativement stables.

Et pourtant, cette façon de recourir à l'ambiguïté n'est pas sans conséquences. Par exemple, dans de nombreux domaines, la règle de décision par défaut est le consensus ou l'unanimité. Il en résulte souvent des impasses qui finissent par créer un vide décisionnel. Si Ottawa considère une situation comme suffisamment sérieuse, le système, auparavant décentralisé, devient du jour au lendemain très centralisé. Ce sont alors des décisions unilatérales du gouvernement fédéral qui remplissent le vide. Dans certains cas, ces décisions unilatérales sont le reflet d'un consensus tacite entre les différents gouvernements, même si personne ne voudrait l'admettre. Dans d'autres cas, toutefois, elles peuvent avantager nettement une partie du pays. De tels gestes de la part du gouvernement central sont alors considérés comme arbitraires, et les gouvernements des provinces ou territoires qui se sentent brimés les déclarent illégitimes. À plus long terme, l'immobilisme et les actions unilatérales du gouvernement central qui en découlent vont exacerber le conflit fédéral-provincial et mener vers une centralisation du pouvoir.

L'ambiguïté a un rôle à jouer, plus particulièrement quand des questions d'ordre constitutionnel sont en jeu. Il y a peu de chance qu'on trouve un jour une solution qui puisse remplacer l'unanimité de fait pour tout changement important à la Constitution. Cependant, dans d'autres domaines - le commerce interprovincial, la mobilité de la main-d'oeuvre, la réglementation des valeurs mobilières ou le réchauffement de la planète, entre autres -, des règles de décision officielles seraient souhaitables.

En bref, si l'ambiguïté est un ingrédient important du fédéralisme canadien, il serait peut-être temps de transformer le système de façon à ce que la clarté y tienne une plus grande place.

L'auteur enseigne l'adminis-tration publique à l'Université de Victoria. Avec Gerald Baier et Douglas Brown, il est coauteur du livre «Contested Federalism: Certainty and Ambiguity in the Canadian Federation», publié récemment aux éditions Oxford University Press.