Les résultats des élections européennes de dimanche dernier et le faible taux de participation (43% en moyenne dans l'Union) sont vus, dans plusieurs milieux, comme autant d'indicateurs de la «crise de l'Europe» et du déclin de la légitimité du projet inventé par Jean Monnet au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.

Rien ne saurait pourtant être plus éloigné de la réalité. Ce n'est pas l'Union européenne (UE) qui est en crise - et encore moins l'idéal européen - mais plutôt la politique nationale au sein des États membres de l'UE. Un sondage effectué la semaine dernière montrait que près de 45% des citoyens veulent «plus d'Europe» et que l'idée d'une Europe fédérale recueille l'assentiment de majorités dans plusieurs pays.

Malgré cela, l'Europe reste l'otage de la politique partisane des États membres. Les grands partis nationaux, devenus de plus en plus des machines électorales sans véritable projet de société, se servent des institutions européennes comme d'un bouc émissaire sur lesquelles ils font porter le blâme de leur propre incapacité à répondre adéquatement aux aspirations de leurs sociétés.

L'Europe n'est rien d'autre que ce que les politiciens des États membres veulent bien en faire. Or, depuis quelques années, ceux-ci ont surtout choisi de se replier sur eux-mêmes et de diaboliser l'Europe, accusée d'être le cheval de Troie d'une mondialisation néolibérale et d'un cosmopolitisme menaçant les cultures nationales.

De plus en plus de partis voient le jour pour défendre la souveraineté nationale face à une Europe que l'on prétend tentaculaire, mais dont la bureaucratie n'est pourtant pas plus grosse que celle de la ville de Montréal, et ce, même si l'UE veille à la destinée du plus grand ensemble politique de l'histoire de l'humanité.

C'est comme si l'Europe se «québécisait» de plus en plus: ce qui s'y passe n'est pas sans rappeler le type de politique que nos représentants provinciaux pratiquent depuis longtemps à l'endroit du fédéral. Après tout, l'euroscepticisme et le «canadospecticisme» des élites politiques québécoises ne sont pas des phénomènes radicalement différents l'un de l'autre.

Dans un contexte où l'UE est ainsi devenue l'objet d'un jeu de surenchère nationaliste, il n'est pas surprenant que les partis de droite populiste soient les grands gagnants. Car au jeu de la défense de la «nation» et des traditions, ce sont eux qui détiennent la médaille d'or. Cette façon de faire de la politique n'est pas sans rappeler la montée de l'ADQ au Québec et l'apparition du débat sur les «accommodements raisonnables».

Dans ce débat, relancé récemment par une décision de la Fédération des femmes, plusieurs voix dénoncent la menace que le multiculturalisme des institutions canadiennes ferait peser sur le Québec. Pourtant, qu'elle soit ou non à l'intérieur du fédéralisme canadien, la société québécoise sera toujours multiculturelle. C'est là un des traits fondamentaux de son américanité.

Dans son extraordinaire discours prononcé au Caire la semaine dernière, le président Obama a tenu des propos qui nous concernent directement. Parlant de la liberté religieuse, il a dit qu'il était «important que les pays occidentaux évitent d'empêcher leurs citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils l'entendent - par exemple en dictant la manière dont une musulmane doit s'habiller. On ne peut pas déguiser l'hostilité à l'égard d'une religion sous le couvert du libéralisme».

Comme l'indiquait un titre du journal Le Monde du week-end dernier, les Français ont senti cette partie du discours du président américain comme une «critique à mots couverts» de leur loi sur le port des signes religieux. Les élites nationalistes québécoises, dont la France est en toute matière l'unique référence, devraient également se sentir interpellées. Le Québec n'est pas la France. Interdire le port du voile dans les institutions publiques est une idée qui n'a absolument rien à voir avec notre contexte historique, démographique et social.

Étrangement, les plus coriaces adversaires de l'idée fédérale au Québec sont souvent les mêmes qui rêvent de faire de notre société une sorte de mini-réplique de la France en Amérique du Nord.

*Directeur, Centre d'excellence sur l'Union européenne, universités de Montréal et McGill