Au Canada, à l'instar d'autres pays, on assiste à une professionnalisation croissante de l'engagement public. Les politiciens sont aujourd'hui davantage des «professionnels» de la politique à la recherche de moyens susceptibles de favoriser leur réélection. Dans ce contexte, la motivation première de nos élus n'est sans doute pas la défense des intérêts de leurs citoyens, mais plutôt la promotion de leur carrière, laquelle passe bien sûr par une réélection.

À ce phénomène bien connu, on peut ajouter que les politiciens fédéraux souffrent d'un manque évident de leadership. En fait, depuis Pierre Trudeau, aucun politicien sur la scène fédérale n'a été en mesure de proposer un projet de société stimulant et dynamique.

 

L'ère Mulroney a été ébranlée par les scandales de toutes sortes et par les douloureux échecs constitutionnels. Le règne de Jean Chrétien fut marqué par une importante période d'austérité budgétaire et par un manque de vision à long terme. Finalement, depuis 2004, se succèdent des premiers ministres plutôt ternes, incapables de générer une majorité au Parlement.

Cette professionnalisation de la politique et l'absence d'un leadership fort depuis plus de 25 ans sont des éléments, parmi d'autres, qui peuvent expliquer la faiblesse croissante du taux de participation aux élections et le désengagement volontaire des citoyens envers la chose publique.

Cependant, en politique, on le sait, les événements peuvent rapidement évoluer et l'arrivée toute récente de Michael Ignatieff à la tête du Parti libéral est peut-être susceptible de changer cette dynamique.

À l'évidence, Michael Ignatieff n'est pas un politicien comme les autres. D'abord, il n'est pas un professionnel de la politique et son engagement tardif sur la scène fédérale prouve peut-être que la politique a pour lui d'autres fonctions que celle d'exercer un «simple métier» au Parlement d'Ottawa. Ensuite et surtout, Michael Ignatieff semble avoir une idée du sens qu'il entend donner à son engagement politique.

Pour s'en convaincre, il suffit de parcourir ses deux essais historiques, L'Album russe et Terre de nos aïeux, deux livres qui relatent, à leur manière, des conceptions différentes de l'engagement politique des ancêtres de Michael Ignatieff.

Par ces deux récits, Michael Ignatieff se présente comme un homme d'État qui cherche d'abord à servir son pays, sans poursuivre d'objectif strictement partisan et personnel. Ensuite, il cherche aussi à se définir comme un bâtisseur moderne du Canada, susceptible d'insuffler un leadership dynamique qui permettrait, à terme, de concrétiser le rêve des pères fondateurs de la Confédération de faire du Canada une des grandes puissances du XXIe siècle. Voilà un sens de l'engagement politique qui, avouons-le, contraste avec le leadership politique manifesté au cours des deux dernières décennies.

Même si le chef du Parti libéral semble se présenter avantageusement comme un serviteur de l'État et comme un futur bâtisseur, il se garde bien jusqu'à présent d'indiquer clairement les grandes orientations qu'il entend donner à son action politique. Tout au plus indique-t-il brièvement dans Terre de nos aïeux certains projets comme un train à grande vitesse d'est en ouest, l'ouverture du passage de l'Arctique et le développement de l'hydroélectricité - dans un axe est-ouest plutôt que nord-sud - sans définir clairement ses ambitieux projets. En outre, on pourra reprocher à Ignatieff d'afficher récemment un sens du patriotisme un peu opportuniste, lui qui est davantage reconnu comme un homme cosmopolite ayant fait sa carrière universitaire et journalistique à l'étranger.

Pour être un véritable bâtisseur, le nouveau chef du Parti libéral devra sortir des sentiers déjà battus par ses ancêtres et s'attaquer aux grands défis d'un Canada du XXIe siècle en proposant des solutions à la grave crise économique et financière qui touche actuellement l'ensemble de la planète. Surtout, il devra démontrer aux Canadiens qu'ils peuvent tirer profit des enjeux de demain comme l'environnement et la mondialisation sans pour autant perdre leur identité... et peut-être, le rêve de leurs ancêtres!

L'auteur est candidat au doctorat à l'UQAM et professeur de science politique au cégep de Sherbrooke.