Imaginez le Stade olympique et le Centre Bell bondés. Cela donne l'ordre de grandeur des pertes d'emplois survenues dans le secteur manufacturier au Québec entre 2004 et 2008. Sans compter les milliers de mises à pied que la crise économique actuelle est susceptible d'engendrer. Dans le cas du secteur manufacturier, le mot crise n'est donc pas trop fort.

Les sources de cette crise remontent au début des années 2000, soit bien avant la crise financière actuelle qui aggrave d'autant plus les problèmes du secteur manufacturier. La vigueur du dollar canadien, la concurrence des économies émergentes, les réductions tarifaires, les bas niveaux d'investissements en capital et en innovation et l'absence d'une véritable politique industrielle en sont quelques-unes.

 

La crise du secteur financier s'est depuis propagée à l'économie réelle, touchant des entreprises manufacturières qui, jusque-là, avaient été en mesure de tirer leur épingle du jeu.

Comment le Québec s'en sort-il par rapport à son voisin? L'Ontario a été touché plus durement: 200 000 pertes d'emplois en Ontario, l'équivalent de quatre Centre Rogers (Toronto) bondés.

L'Ontario et le Québec ont été plus touchés proportionnellement que le reste du Canada, car ces provinces comptent près des trois quarts des emplois manufacturiers au pays. Ensemble, elles ont essuyé près de 90% des pertes d'emplois entre 2004 et 2008.

Que faut-il faire? Il n'est pas facile d'identifier des solutions à une situation complexe. Une chose est certaine: il faut éviter les dogmes néolibéraux et les modèles économiques abstraits qui ont nourri la myopie face aux signes avant-coureurs de la crise actuelle.

Il faut s'attaquer aux causes de la crise pour accroître la compétitivité des entreprises, mais aussi à ses conséquences sociales. Comme société, fait-on vraiment tout pour aider les victimes de cette crise en leur offrant une aide financière adéquate, non seulement pour survivre, mais aussi pour donner la chance à tous ceux et celles qui voudraient se recycler ou se perfectionner? Pourquoi ne pas permettre aux travailleurs plus âgés de vivre dignement avant de pouvoir prendre leur retraite?

Il faut également se garder de mettre toutes les industries dans le même bain et chercher des solutions «mur à mur». Plusieurs d'entre elles s'en tiraient plutôt bien avant la crise financière. Elles peuvent avoir besoin d'un peu d'aide (octroyée en retour de certaines garanties) le temps que l'orage passe et qu'elles soient prêtes au sortir de cette crise. D'autres mesures plus ciblées peuvent s'adresser aux industries mal en point afin de les relancer éventuellement sur de nouvelles bases ou, du moins, aider les victimes des inévitables restructurations industrielles.

Dans les milieux de travail, il y a des hommes et des femmes qui composent chaque jour avec la crise, trouvant des solutions innovatrices dont on ne parle pas souvent. L'expérience de ces acteurs du secteur manufacturier en Amérique du Nord et les réponses apportées à la crise feront d'ailleurs l'objet d'un séminaire international organisé à Montréal aujourd'hui et jeudi par le Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (voir le programme sur www.crimt.org).

Ces réponses peuvent prendre la forme de politiques publiques innovantes et progressistes, de nouveaux aménagements des conventions collectives qui n'occasionnent pas un simple transfert des coûts et des risques des restructurations sur les employés, ou de manière plus générale du développement de la capacité des acteurs à anticiper ces restructurations et à établir de «meilleures pratiques» en la matière.

La crise du secteur manufacturier est certainement l'occasion d'adopter des mesures innovatrices et porteuses d'avenir. La «nouvelle économie», ce sont des industries manufacturières innovantes, performantes, technologiquement à la fine pointe, avec une main-d'oeuvre qualifiée qui bénéficie de bonnes conditions de travail et qui contribuent ainsi à la prospérité de l'économie québécoise dans son ensemble.

L'avenir du secteur manufacturier est ici... si nous nous en donnons les capacités.

Étienne Cantin, Robert Hickey et Patrice Jalette

Les auteurs sont respectivement professeurs à l'Université Laval, l'Université Queens et l'Université de Montréal, et membres du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail.