En ces temps de turbulence économique, le gouvernement du Québec entre dans une période d'austérité budgétaire, période qui rappellera sans doute le lointain souvenir des compressions liées à l'atteinte du déficit zéro au milieu des années 90.

À quelques jours du dépôt du budget, on ne sait pas encore quelle sera l'ampleur du déficit pour l'année en cours et les années subséquentes, mais à voir la détérioration rapide des finances publiques du gouvernement fédéral et des autres provinces canadiennes, il ne faut pas être devin pour imaginer ce qui se profile à l'horizon: compression, rationalisation, gel des dépenses, etc.

 

Bref, outre les programmes de stimulation économique reliés aux infrastructures ou encore aux baisses d'impôt, les différents ministères risquent de voir leur budget amputé.

Toutefois, malgré la crise des finances publiques, le gouvernement libéral a manifesté son intention de maintenir certains services jugés prioritaires. C'est le cas du ministère de la Santé, qui accapare à lui seul plus de 40% de l'ensemble des dépenses gouvernementales de la province.

À terme, les compressions ou le gel des dépenses des autres missions de l'État combinés à une augmentation - même modérée - des dépenses en santé auront pour résultat d'accroître le déséquilibre déjà existant entre les dépenses en santé et celles liées aux autres missions de l'État. On peut penser ici à l'éducation, au transport, à la culture, à l'environnement, aux affaires municipales, à la solidarité sociale, à la famille, tous des domaines pourtant essentiels au développement de la société québécoise.

Pourquoi donc la santé occupe-t-elle une place sans cesse croissante en rapport avec les autres missions de l'État et quelles sont les conséquences de ce choix de société?

Depuis l'universalisation des soins de santé dans les années 70, la société québécoise a subi de profondes mutations. Nous n'avons qu'à penser au vieillissement de la population, à la chute du taux de natalité, à l'augmentation rapide des coûts des médicaments et aux nombreuses découvertes technologiques. Le système de santé, lui, s'est mal adapté aux nouvelles réalités et les Québécois semblent être restés figés à cette conception d'un système qui doit répondre instantanément à leurs besoins. Est-il réaliste, par exemple, de s'attendre à ce qu'un patient reçoive des services d'urgence dans les mêmes délais en région éloignée que dans un grand centre?

Pire encore, la santé est maintenant un mythe, un tabou et la population québécoise est réfractaire à tout débat abordant une remise en question, même partielle, du système actuel. Pensons au fameux ticket modérateur, dont la simple évocation fait frémir les politiciens trop souvent rivés sur les sondages d'opinion.

Pourtant, depuis plus de 20 ans, plusieurs rapports et commissions se sont penchés sur les manières de réformer le réseau de la santé. Le rapport Rochon, la commission Clair et, encore récemment, la commission Castonguay ont tenté de répondre à cette question délicate. Certaines solutions sont donc connues et il ne manque qu'une véritable volonté politique pour appliquer les nombreuses recommandations suggérées.

En ce sens, peut-être que Mario Dumont, malgré ses formules parfois malhabiles, arrivait à mettre en lumière des débats que n'osent pas affronter les partis traditionnels, attachés à une conception du réseau de la santé qui ne correspond plus aux nouvelles réalités.

Le résultat est cependant douloureux pour la société, car en refusant de mettre en application les nombreuses suggestions des experts, le gouvernement accepte implicitement de restreindre sa marge de manoeuvre au point de n'avoir que pour principale mission la santé.

Est-ce donc normal, en cette période de crise économique, d'avoir un gouvernement qui semble vouloir tenir tête aux cégeps et universités, aux écologistes, aux syndicats mais qui, en même temps, veut sans cesse réinvestir en santé sans pour autant réformer véritablement le réseau?

Pour que les prochaines générations puissent à leur tour maintenir ces idéaux, il est nécessaire que nous fassions preuve d'ouverture devant les modifications que subira inévitablement notre système de santé.

Chaque citoyen doit se sentir personnellement interpellé par les choix difficiles mais nécessaires que nous devrons faire tôt ou tard. Ce n'est qu'avec une implication collective responsable que nous parviendrons à éviter les écueils des prochaines décennies sans trop de dommages... Espérons que nous saurons le comprendre!

Antonin-Xavier Fournier et Marie-Claude Roy

Les auteurs sont respectivement professeur de science politique au cégep de Sherbrooke et médecin spécialiste.