Au fil des années, le projet de souveraineté s'est transformé, reléguant dans l'ombre le projet d'association avec le Canada. Pourtant, la souveraineté ne pourra pas se réaliser sans la signature, en parallèle, d'un nouvel accord avec le reste du Canada. Peu de Québécois souhaitent la rupture de l'espace économique canadien, dont le maintien passera alors obligatoirement par un traité, à négocier, entre le Canada et un Québec en voie de devenir souverain.

La sauvegarde de l'espace canadien - avec les libertés dont jouissent aujourd'hui Québécois et Canadiens - exigera que chacune des deux parties renonce à des pans importants de sa souveraineté. En cela, un projet d'association ne s'éloigne pas d'une constitution fédérale.

 

(...) Parler uniquement d'un projet de pays, c'est laisser de côté la moitié de l'équation. Tout projet de souveraineté qui se veut réaliste doit aussi comprendre un projet de cogestion de l'espace économique et social que le Québec partage avec le Canada. C'est ce projet politique qu'il faut comparer au modèle fédéral. Lequel des deux - une fédération ou une union entre deux États souverains - offre aux Québécois les meilleures garanties de prospérité économique, de progrès social, de viabilité politique et aussi d'épanouissement de la langue française? Le grand défi, l'histoire nous l'a appris, est la coexistence harmonieuse entre des peuples voisins, et la mise en place des bonnes institutions pour l'assurer.

C'est dans cet esprit que j'ai proposé un autre regard sur le projet de souveraineté, en passant, un à un, différents éléments (libre circulation des personnes, monnaie commune...) qui, raisonnablement, feraient partie d'une entente entre le Canada et un Québec souverain.

J'arrive à la conclusion qu'une nouvelle entente - pour peu qu'elle protège bien les libertés acquises des Québécois - a de fortes chances d'être presque aussi contraignante que la constitution fédérale actuelle, y compris en matière linguistique. Le Québec n'acquerra pas, en toute probabilité, beaucoup de nouveaux pouvoirs, et sa marge de manoeuvre pour faire les choses autrement (que le Canada) ne sera pas sensiblement plus grande.

Cette conclusion ne découle pas uniquement du caractère contraignant de tout instrument juridique à la base d'une union économique, mais aussi du fait que le Québec possède déjà la majorité des pouvoirs admis dans une union économique. Ce que le Québec pourrait gagner de plus est finalement peu, surtout si on met dans la balance les risques et, possiblement, les pertes que l'accession à la souveraineté pourrait entraîner. Ce qui me fait conclure, à la fin de l'exercice, que l'option fédérale est préférable.

(...) Il y a des choix en politique auxquels l'on ne peut pas échapper.

L'opposition entre la liberté des peuples et la liberté des États en est un. Chaque peuple doit choisir l'arbitrage qui lui convient, à la lumière de son histoire, de ses valeurs et de sa géographie. Prétendre que les Québécois peuvent avoir les deux - la pleine liberté des Québécois dans l'espace canadien et la pleine souveraineté de l'État québécois - c'est vivre dans un monde imaginaire. De même, prétendre qu'il est possible de construire un État québécois pleinement souverain et maintenir également les droits de la langue française dans l'espace canadien, c'est aussi vivre dans un monde imaginaire.

Conclure, comme je le fais, que l'option fédérale est préférable, ce n'est pas renoncer aux objectifs qui, il y a 40 ans, ont motivé mon adhésion à l'option souverainiste. C'est toujours le développement économique et social des Québécois et l'épanouissement de la langue française qui restent mes motivations premières. L'option fédérale, sans vouloir l'idéaliser, me paraît aujourd'hui offrir plus de garanties de succès que l'option souverainiste. Je ne vois pas grand attrait à échanger une relation fédérale qui ne nous a pas si mal servis - et dont nous connaissons les avantages et les limites - pour une nouvelle relation à inventer qui pourra, possiblement, se solder par un recul. De l'histoire des 50 dernières années, je tire aujourd'hui la leçon que l'appartenance à la fédération canadienne n'a pas empêché les Québécois d'avancer. Ce que les Québécois ont réalisé - individuellement et collectivement - depuis les débuts de la Révolution tranquille n'est pas banal: un peuple en situation d'infériorité économique et sociale s'est transformé en l'espace d'une génération en l'un des peuples les plus prospères, les plus créateurs et, j'ose le dire, les plus libres de la Terre. Peu de peuples, dont des peuples qui disposent d'un État souverain, ont réussi un virage aussi spectaculaire.

LE FÉDÉRALISME NE FAIT PAS OBSTACLE À NOTRE PROGRÈS

(...) Le régime politique parfait n'existe pas. Le modèle fédéral est un compromis. Tout nouveau modèle qui accompagnerait la souveraineté le serait aussi, cette fatalité est inscrite dans notre géographie et dans notre histoire. Nous sommes condamnés à nous entendre, peu importe le modèle choisi.

Le succès québécois depuis 50 ans nous dit, soyons assez honnêtes pour le reconnaître, que ce n'est pas le régime fédéral qui fait obstacle à notre progrès.

Les obstacles - si obstacles il y a - se trouvent dans notre propre volonté d'agir et de bien évaluer nos intérêts.

Le nationalisme québécois doit-il se résumer à demander toujours plus de pouvoirs pour le Québec? Les institutions fédérales comportent aussi des avantages pour nous. La vision pessimiste (sans souveraineté nous restons bloqués), qui pouvait se défendre il n'y a pas si longtemps, s'est révélée fausse - heureusement.

Les Québécois n'ont pas attendu la souveraineté pour réaliser de grandes choses dans tous les domaines, ni pour construire un Québec toujours plus fort. Je ne vois pas pourquoi cela serait moins vrai à l'avenir. Je ne vois pas ce qui nous empêche de devenir la société la plus instruite, la plus créatrice et la plus prospère en Amérique, à condition que ce soit là l'objectif que nous nous donnions, et que nous agissions - individuellement et collectivement - en conséquence.

L'auteur est professeur à l'INRS-Urbanisation, Culture et Société. Sous le gouvernement de René Lévesque, il fut membre du comité Bonin, chargé d'étudier les modalités d'une éventuelle association entre un Québec indépendant et le reste du Canada. Ce texte est extrait de son livre, «Serions-nous plus libres au lendemain d'un OUI?», qui vient d'être publié aux Éditions Voix Parallèles.