J'ai rencontré Jean Pelletier pour la première fois en juillet 1991 quand Jean Chrétien, chef de l'opposition à Ottawa, l'a choisi comme directeur de cabinet. J'étais alors le conseiller principal en politiques auprès de M. Chrétien. Ce fut pour Jean Pelletier et moi le début d'une collaboration de 10 ans, d'abord, au cabinet du chef de l'opposition et, ensuite, au cabinet du premier ministre. Plus important pour nous, ce fut le début d'une amitié qui aura duré jusqu'à sa mort, hier.

Tout comme un orchestre a besoin d'un chef pour suivre un rythme commun, un premier ministre et un cabinet de premier ministre ont besoin d'un directeur de cabinet pour travailler efficacement. Jean Pelletier fut ce chef d'orchestre. Sérieux, doué et fort d'une longue expérience dans la vie publique, il respirait l'autorité, l'intégrité et la compétence. Il a su rapidement gagner le respect du caucus, du cabinet, et des hauts fonctionnaires. Jean Chrétien misait beaucoup sur les capacités administratives de son vieil ami, de même que sur ses conseils, surtout en ce qui a trait aux questions touchant le Québec.

 

Ses responsabilités administratives et politiques lui imposaient des journées du travail d'au moins 14 heures, remplies de réunions et d'appels téléphoniques. Il assistait aux réunions du conseil des ministres et rencontrait chaque matin le premier ministre et le greffier du Conseil privé pendant une demi-heure pour ensuite aborder tout problème politique qui en ressortait, un de ses rôles étant précisément de résoudre les problèmes politiques auxquels le premier ministre se trouvait confronté.

M. Chrétien comptait sur Jean Pelletier pour apaiser et soigner les égos, dont on connaît bien l'envergure, des ministres et des députés. Il s'agissait d'une tâche exigeante et Jean Pelletier s'en acquittait avec aplomb, diplomatie et fermeté. Devant plus souvent dire non que oui, il en est venu à se tailler la réputation de «bourreau aux gants de velours». Son rôle fut essentiel au succès de l'administration de Jean Chrétien.

Pelletier avait une façon de faire bien à lui, fondée sur une imposante personnalité. Son approche consistait à s'informer de tout, à coordonner l'ensemble du cabinet, à assurer une gestion professionnelle et efficace des opérations et à faire en sorte que toutes les questions soient traitées convenablement et promptement. Mais il laissait la gestion à ses gestionnaires, sans chercher à faire le travail à leur place et sans priver aucun des membres de son personnel supérieur d'un accès direct au premier ministre.

Il tenait chaque matin à 8h45 une réunion avec les cadres supérieurs de son équipe afin d'assurer la coordination des activités du cabinet. Les réunions visaient certes à informer et à coordonner, mais il connaissait la tendance de tous les membres des bureaux politiques à vouloir souvent intervenir dans tous les dossiers. Il nous mettait toujours en garde contre le danger d'un «trop grand nombre de cuisiniers dans la cuisine» et nous imposait une stricte discipline visant à assurer que les responsables de dossiers particuliers puissent les traiter sans ingérences. Le résultat était que le cabinet du premier ministre de Jean Chrétien travaillait en équipe et à l'abri de la politique interne, qui est souvent la plaie des bureaux des chefs de gouvernements. Au moment de quitter ses fonctions, il était considéré comme un des meilleurs, sinon le meilleur, directeur de cabinet qu'un premier ministre ait jamais eu.

Jean Pelletier a servi sa ville, sa province et son pays avec honneur, intégrité et distinction. Il va nous manquer.

L'auteur a été conseiller principal du premier ministre Jean Chrétien. Il pratique aujourd'hui le droit au cabinet Bennett Jones.