Yosef Sheinin, le grand rabbin de la ville d'Ashdod est apparu bouleversé - et on le comprend - lors des obsèques d'Irit Shetreet, l'une des quatre victimes israéliennes de roquettes palestiniennes depuis qu'Israël a lancé, dimanche dernier, sa campagne de bombardement dans la bande de Gaza (contrôlée par le Hamas). Mais il a eu tort sur un point: c'est d'avoir déclaré que la mort de cette femme était «la dernière manifestation de 3000 ans de haine des juifs». Cette haine existe, mais ses sources spatio-temporelles sont beaucoup plus proches.

Les médias occidentaux couvrent en général les actualités sans en rechercher les origines. Même les événements datant de l'an dernier ou des 10 dernières années sont traités comme de l'histoire ancienne. Si bien que la rage et le désespoir des habitants de la bande de Gaza peuvent facilement paraître incompréhensibles: une «haine infinie de bêtes sauvages», nous dit Yosef Sheinin. Pourquoi les Palestiniens tirent-ils des roquettes qui tuent des civils innocents à Sderot, Ashkelon, Ashdod et même à Beersheva.

 

Parce que c'est de là qu'ils viennent. Seul environ un cinquième de la population de la bande de Gaza sont les descendants de personnes qui vivaient sur cette étendue de terre aride avant 1948. Les autres sont des gens, ou les enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants de gens qui ont été chassés du territoire qui est aujourd'hui Israël pendant la guerre de 1948. Certains, sous la peur, ont simplement fui et n'ont pas été autorisés à rentrer chez eux par la suite. Leur ancienne maison était généralement située dans le sud de l'ancienne Palestine. Précisément dans des villes comme Sderot, Ashkelon, Ashdod et Beersheva.

Pour autant, cela ne leur donne pas le droit de lancer des roquettes sur les habitants actuels de ces villes, de la même manière qu'Israël n'a pas le droit d'utiliser sa puissance aérienne colossale pour pilonner la fortement peuplée bande de Gaza. En tout état de cause, ce bref historique fournit un peu de contexte pour comprendre les événements d'aujourd'hui - et, de fait, les événements qui se produisent presque chaque année. Ce conflit s'explique par un enjeu historique inchangé: le territoire. Par ailleurs, le fait qu'Israël tue une centaine de Palestiniens pour une victime israélienne ne signifie pas que l'État hébreu est en train de gagner. (...)

Une question de stratégie

Ehoud Olmert, le premier ministre israélien de transition, et Tzipi Livni, sa successeure à la tête du parti Kadima ainsi que Benyamin Netannyahou, chef du Likoud (et le principal rival de Tzipi Livni au poste de premier ministre aux élections israéliennes qui se tiendront le mois prochain), tous le savent. Ils sont tous là depuis suffisamment longtemps pour avoir vu Israël tenter de soumettre les Palestiniens par la force une demi-douzaine de fois déjà. Mais tout est une question de stratégie, et la politique est ainsi.

Pour les décideurs politiques israéliens, il s'agit essentiellement d'avoir l'air ferme devant un électorat qui souhaite simplement que quelqu'un «fasse quelque chose» pour empêcher les Palestiniens de tirer des roquettes. On ne peut pas faire grand-chose de plus, à moins qu'un accord de paix soit trouvé et qu'il soit suffisamment équitable pour faire accepter aux Palestiniens la perte d'une partie de leur territoire. Il n'empêche que les politiciens israéliens doivent se montrer actifs sur ce front - et c'est au prix de centaines de morts dans la bande de Gaza.

Les chefs du Hamas sont tout aussi cyniques, puisqu'ils savent que chaque fois qu'un civil trouve la mort, et même chaque fois qu'un militant est tué par les forces israéliennes, leur organisation gagne un peu plus de soutien populaire. Ceux qui meurent sont de simples pions sur un échiquier politique. C'est donc sans surprise que l'enthousiasme soit si rare, dans les autres pays, en ce qui concerne tout effort de médiation visant à convaincre les deux parties de s'accorder sur un cessez-le-feu. Israël et la Palestine cesseront lorsqu'ils auront atteint leurs objectifs politiques. Ceux-ci sont purement tactiques et sont valables à court terme.

Ce conflit cache un problème plus profond, à savoir le droit à l'existence d'Israël face au droit des Palestiniens de jouir de leur terre natale. Mais il ne faut pas s'emballer avec le caractère moral exceptionnel de cette question. Il s'agit, une fois de plus, d'un conflit entre des conquérants et des autochtones. Tout comme les colons européens face aux Indiens d'Amérique au XVIIIe siècle ou, d'ailleurs, les Israélites face aux Cananéens il y a 3000 ans.

Ces anciens conflits ont été réglés par la force. Mais le monde a changé, et il se trouve que la force ne permet plus toujours de régler les problèmes efficacement. Israël est assez fort pour continuer à pilonner les Palestiniens encore et toujours, mais ces derniers n'abandonneront pas leur combat. En fait, ni les uns ni les autres ne peuvent abandonner. Comme on l'a clairement vu à maintes reprises, aucun camp n'est capable d'éliminer l'ennemi.

Cela ne signifie pas nécessairement que ce conflit finira par être réglé par la voie des négociations et des compromis pacifiques. Il n'y a peut-être pas de solution dans un avenir proche. Seulement une interminable série de confrontations sanglantes sans issue. Bonne année tout de même...

L'auteur est un journaliste indépendant canadien, vivant à Londres, dont les articles sont publiés dans 45 pays. Son dernier livre, «Futur imparfait», est publié au Canada aux Éditions Lanctôt.