Le premier ministre semble être le seul surpris du tollé provoqué par la récente mise à jour économique de son ministre des finances. Pourtant, si elles devaient être appliquées, les mesures contenues dans cet énoncé isoleraient complètement le Canada sur la scène internationale. Alors que du Japon à l'Europe et de la Chine aux États-Unis les gouvernements ouvrent les valves pour contenir la récession mondiale, le gouvernement du Canada propose plutôt de sabrer dans ses dépenses afin de maintenir un semblant d'équilibre budgétaire.

Si le gouvernement fédéral avait perdu toute capacité d'emprunt à des taux d'intérêt raisonnables, on comprendrait que ce choix est dicté par la dure réalité. Cependant, le gouvernement fédéral émerge d'un long cycle de surplus budgétaires qui lui a redonné les moyens d'être actif en période de ralentissement économique. Il bénéficie également d'une période inédite où il lui est possible d'emprunter à des taux d'intérêt proche de zéro, voire négatifs en tenant compte de l'inflation. Lorsque le secteur privé est en retraite comme cela est le cas à l'heure actuelle, c'est au gouvernement qui en a les moyens de prendre la relève en investissant pour l'avenir tout en soutenant l'emploi à court terme. La recette est connue depuis des décennies et il est pour le moins surprenant de constater qu'il n'y ait qu'au Canada où on semble l'ignorer.

 

Comment interpréter ce splendide isolement auquel nous convie le gouvernement minoritaire conservateur? Écartons au départ l'hypothèse d'une simple ignorance de la théorie économique. Autant le premier ministre qui est lui-même économiste que son ministre des finances ont à ce chapitre toutes les compétences requises. Risquons alors une autre interprétation. Si le gouvernement a pris le risque d'accentuer le ralentissement par des compressions budgétaires, c'est qu'il a en tête un projet qui va bien au-delà de la conjoncture économique actuelle et que ce projet dicte ses priorités.

Vu sous cet angle, la baisse de la TPS mise en application lors du précédent mandat n'a rien d'une mesure prémonitoire de stimulation de l'économie. Jumelée au choix de maintenir l'équilibre budgétaire même en récession, elle devient plutôt le moyen de justifier une réduction du rôle de l'État. On peut débattre des pour et contre de ce projet mais a-t-il seulement constitué un enjeu majeur des dernières élections? À tout le moins, la répartition actuelle des sièges à la Chambre des communes ne donne à personne le mandat d'engager le Canada dans une voie autre que celle du pragmatisme et de la collaboration.

Et que dire maintenant de la suppression temporaire du droit de grève dans la fonction publique ou de la volonté d'éliminer les subventions aux partis politiques, volonté qui vise à n'en pas douter les adversaires du Parti conservateur? De toute évidence, le projet idéologique et le besoin d'hégémonie politique que suppose sa réalisation ont primé sur la lutte contre la récession.

Peu de temps

Le premier ministre tente maintenant de gagner du temps en repoussant au 8 décembre les votes de confiance qui pourraient faire tomber son gouvernement. Il dispose de peu de temps pour regagner la confiance qu'il s'est employé lui-même à détruire. S'il n'y parvient pas, la gouverneure générale ne fera que respecter la Constitution si elle décide de confier à une coalition formée par l'opposition la responsabilité d'offrir une meilleure alternative de gouvernement.

Au Parti libéral et au Nouveau Parti démocratique dont la vision est pancanadienne, l'occasion sera donnée de gouverner avec le pragmatisme et l'esprit de collaboration qu'exigent les circonstances. Au Bloc québécois dont la vision est par définition plus locale, l'occasion sera donnée d'aller au-delà de la seule défense des intérêts régionaux en offrant à ce gouvernement les gages requis de stabilité. Dans cette économie devenue mondiale, les intérêts des Québécois ne diffèrent guère de ceux de l'ensemble des Canadiens.

L'auteur est professeur au service de l'enseignement des affaires internationales à HEC Montréal.