Malgré l'aspect hautement saisissant de la campagne électorale américaine, ce qui semble si mémorable à propos des trois débats des candidats à la présidence cette année, c'est qu'ils ne sont tout simplement pas mémorables. On a du mal à cerner une idée centrale, un moment spectaculaire, un clip sonore déterminant que l'on ferait rejouer encore et encore.

En outre, et c'est ce qui est le plus inquiétant pour les deux candidats, les débats ont semblé masquer les meilleurs côtés des hommes en présence. Pendant les quatre heures et demie de débat, il a été difficile de détecter de nombreuses traces de Barack Obama le rêveur ou de John McCain le héros de guerre.

 

Par contraste, les conventions nationales ont permis aux deux candidats de se présenter comme ils souhaitaient être connus et comme ils voulaient qu'on se souvienne d'eux. John McCain a conclu son discours dépourvu d'imagination devant la convention nationale républicaine en évoquant des souvenirs émouvants sur la manière dont son expérience à titre de prisonnier de guerre l'avait aidé à découvrir la puissance de la collectivité. Même de nombreux démocrates ont apprécié l'héroïsme, l'humilité et l'humanité de McCain.

Hélas, les débats ont mis l'héroïsme en veilleuse. McCain s'est montré plus hérisson que patriotique, plus agité que coulant, davantage un candidat soucieux en quête d'une persona et d'une stratégie qu'un demi-dieu concentré qui sait ce qu'il est et ce qu'il représente. Il a entamé le troisième débat en s'attaquant de nouveau à Wall Street et à Washington, sans reconnaître que des Américains ordinaires ont aussi sombré dans l'extrême prodigalité. Maintes et maintes fois, ses remarques ont semblé davantage calculées pour lui assurer un avantage politique que motivées par un patriotisme constructif.

Barack Obama

De la même façon, Barack Obama a livré un discours d'acceptation à la convention démocrate de 2008 à Denver qui a été suffisamment enlevant pour rappeler à ses supporters ses extraordinaires débuts à la convention nationale démocrate de 2004. Le décor dans le majestueux stade et la nature historique de son ascension à titre de premier candidat noir mis en nomination par un grand parti ont créé un autre moment inoubliable sous le sceau de «Yes We Can».

Malheureusement, le Barack Obama que l'on a pu voir lors des débats semblait fréquemment trop sobre pour être un rêveur, trop calme pour être un poète, trop programmé pour inspirer. Le calme et la bonne fortune d'Obama ont servi sa cause et l'ont fait paraître imperturbable, fiable et digne de la présidence. Mais ces performances ont donné à penser que si Obama remporte la victoire, on aura l'impression que ce sera plus une victoire par défaut qu'un triomphe personnel ou qu'un mandat pour réaliser le coeur d'un programme. Il a gardé son moi plus galvanisant et inspirant soigneusement sous le boisseau, préférant laisser McCain et les républicains trébucher. Sa grande réalisation au cours de la campagne d'automne aura été son entrain, son professionnalisme, son sérieux. Mais les Américains meurent d'envie d'inspiration, d'encouragement et d'exubérance.

Tout comme deux boxeurs épuisés au 15e round, les deux candidats ont combattu pour en arriver à un score égal. Et à ce stade, cette égalité aide Obama, qui mène dans la plupart des sondages. Mais après des semaines de nouvelles catastrophiques sur le front économique et en raison des défis en politique étrangère que posent l'Irak, l'Afghanistan, l'Iran et d'autres pays, il est légitime de regretter Obama le rêveur et McCain le héros. Aujourd'hui, les Américains ont besoin de candidats qui offrent de la vision et qui les rassurent. Il reste qu'avec un peu de chance et conformément aux rythmes de la politique américaine, le crescendo depuis le jour du scrutin jusqu'au jour d'entrée en fonction du nouveau président permettra à l'éventuel vainqueur de ressusciter son meilleur moi tandis que les Américains se rallieront à leur nouveau chef et se tourneront vers lui pour réaliser leurs rêves de manière vraiment héroïque.

L'auteur est professeur d'histoire américaine à l'Université McGill.