Je déteste perdre mon vote. Je ne l'annule jamais. Je crois que le vote est à ce point important qu'il devrait être réservé aux seules personnes présentes sur le territoire au moment du vote (ou le week-end précédent). Pas de vote par la poste, par procuration ou depuis l'étranger. Plus: j'estime que les infractions sérieuses à toutes les lois devraient entraîner la suspension du droit de vote pour un délai fixe. Cela rendrait le vote encore plus précieux.

Et c'est sans douter un instant de l'utilité de mon vote que j'appuierai, le 14 octobre, le Bloc québécois. Je sais qu'il ne prendra pas le pouvoir. Je sais que son existence est le symptôme d'un malaise profond entre le Québec et le Canada. Alors à quoi bon? J'entends le premier ministre Harper, dans ses publicités, se vanter d'avoir reconnu l'existence de la nation québécoise. Il présente la chose comme un fait majeur de la vie politique québécoise et canadienne.

 

Certes, mais il faut être victime d'amnésie pour ne pas savoir que, sans le Bloc, jamais cette reconnaissance n'aurait eu lieu. C'est parce que le Bloc, revenant pour la centième fois à la charge, a mis la Chambre des communes au défi de reconnaître la nation québécoise que Stephen Harper, dans une surprenante volte-face, a récupéré la proposition. Tant mieux. Mais il n'y a aucun scénario où des députés québécois, membres des caucus conservateurs ou libéraux, auraient réussi à pousser le premier ministre, et tout le Parlement, à reconnaître notre existence.

Sans les questions incessantes du Bloc sur le déséquilibre fiscal, et sans sa menace de renverser le gouvernement à moins d'un effort significatif sur ce plan, aucune chance que le gouvernement Harper ait mis 3,9 milliards de plus sur la table pour le Québec. Sans le Bloc, qui aurait exercé cette pression? Les libéraux de Stéphane Dion? Jean-Pierre Blackburn? Josée Verner? Je vous laisse répondre. ()

Mais ne me croyez pas sur parole. Lisez plutôt ce qu'écrivait un des grands chroniqueurs du Canada au lendemain des élections québécoises de 2007 qui, selon lui, avaient poussé Jean Charest à devenir plus nationaliste. «Les Québécois sont brillants. Ils ont un gouvernement plus nationaliste à Québec pour défendre leurs intérêts contre Ottawa. Ils ont leur propre opposition officielle, le Bloc, pour défendre leurs intérêts à Ottawa. Et ils ont un premier ministre (Harper) dont la politique de fédéralisme d'ouverture' est comme une porte qu'ils n'ont qu'à pousser.»

Vous aurez compris que l'auteur, Jeffrey Simpson, est en colère contre «les brillants» que nous sommes. C'est son problème. Pour le reste, il a raison: le Bloc renforce, concrètement, le pouvoir politique du Québec au sein du Canada.

Directeur exécutif du Centre d'études et de recherches de l'Université de Montréal (CÉRIUM), l'auteur a été conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Il publiera cet automne «Pour une gauche efficace» (Boréal).