Dans son reportage sur l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, Sara Champagne, de La Presse, révèle que sur 130 postes d'infirmières à l'urgence de l'établissement, 65 sont vacants, dont 35 à temps complet. Dans plusieurs cas, ces postes ne trouvent pas preneur parce que les infirmières préfèrent choisir un poste à temps partiel et le compléter avec des quarts à temps partiel. Comment expliquez-vous une telle situation? Dans quelle mesure ce phénomène est-il à la base de la pénurie d'infirmières?

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Pour ne pas se brûler

Je suis une jeune infirmière ayant fait de l'urgence à Montréal. Travailler à temps partiel m'a permis de rester dans le métier.

En commençant, les jeunes infirmières travaillent la nuit, le soir et un week-end sur deux. C'est la norme dictée par l'ancienneté et les conventions collectives, surtout dans les hôpitaux francophones où il n'y a pas de rotation. Le temps supplémentaire obligatoire (16 heures de travail dans une journée) est imposé sur plusieurs départements montréalais, généralement la nuit.

Donc, la jeune infirmière se dit: "Si je prends un poste à temps complet de soir, je vais faire 5 quarts de travail par semaine, mais on va m'obliger à rester certaines nuits. Si je prends un poste à temps partiel et qu'on m'impose du temps, je ferai alors le même nombre d'heures que quelqu'un qui travaille normalement à temps plein." C'est une stratégie pour ne pas se brûler. Il est aussi très difficile de travailler exclusivement de soir ou de nuit pendant des années, surtout lorsqu'on a des enfants. L'infirmière prend alors un poste à temps partiel en espérant qu'on l'appelle pour un quart de travail de jour afin de compléter sa semaine à temps plein.

Les conventions collectives limitent les possibilités de compromis quant aux horaires de travail et c'est bien dommage. C'est ce qui explique la popularité des agences de placement infirmier. La gestion dans les hôpitaux est déficiente aussi. Supposons qu'une infirmière a un rendez-vous important, elle ne peut généralement pas demander à son supérieur de la remplacer, on lui répondra qu'il n'y a personne pour la remplacer. On lui demandera alors de téléphoner à la liste de rappel la veille de son absence pour dire qu'elle est malade. Mon jugement me dit qu'il serait plus facile de trouver quelqu'un à trois semaines d'avis qu'à une heure d'avis...

Pour ceux qui considèrent que l'individualisme des jeunes est la cause des problèmes de personnel infirmier, je réponds qu'il n'y avait pas de temps supplémentaire obligatoire il y a 30 ans. La réalité est bien différente aujourd'hui. Il n'y avait "autrefois" pas de pénurie, mais plutôt un surplus de personnel. Il n'y avait pas autant de possibilités de traitement, le vieillissement de la population était moins prononcé et les responsabilités de l'infirmière étaient plus limitées. N'accusons surtout pas les jeunes, s'il vous plaît...

Les professionnelles en soins infirmiers sont dociles. C'est un métier aux multiples possibilités, mais les conditions de travail sont exécrables à peu près partout dans le réseau. Il est grand temps que la profession soit reconnue à sa juste valeur. Si les jeunes sont individualistes, ils sont surtout bilingues et mobiles... Les conditions sont plus favorables chez nos voisins du sud, de l'est, de l'ouest et même du nord...

Catherine J.Lefebvre, Montréal

Une profession à valoriser

Il y a effectivement une grande quantité de postes d'infirmières vacants dans nos hôpitaux. Pourquoi est-ce ainsi? Simplement parce que le réseau de la santé, ses gestionnaires et le ministère de la Santé sont incapables de valoriser cette profession. Je ne parle pas ici uniquement d'augmentations salariales ou de primes de toutes sortes. Non, il faut voir au-delà des questions monétaires.

Il faut trouver des solutions concrètes et durables afin d'amoindrir le stress que vivent les infirmières qui tiennent, avec les autres intervenants, ce réseau à bout de bras depuis si longtemps. Pourquoi une infirmière comptant vingt ans de service, par exemple, ne pourrait-elle pas bénéficier d'un horaire de travail qui ne lui exige pas de travailler les fins de semaine? Il m'apparaît évident que les agences privées en placement d'infirmières ont compris que la souplesse des horaires est la clé de l'attraction et la rétention. Pourquoi les établissements de santé eux ne l'ont-ils pas encore compris? Certains diront que les conventions collectives sont trop rigides. Ne sommes nous pas en pleine période de négociations? Ne serait-il pas logique, s'il y a volonté de part et d'autre, de tenter le tout pour le tout maintenant? Une infirmière sur cinq sera éligible à la retraite au cours des prochaines années. Il me semble qu'il y a urgence d'agir. Ne croyez-vous pas?

Pendant que le ministère de la Santé, les agences régionales, le gouvernement et les quelques 11 000 cadres semblent faire du sur place sur la question, les patients sont victimes en quelque sorte du manque de vision et d'efficacité probant d'un réseau de santé qui devrait être dirigé vers le patient d'abord. Certains bénéficiaires et membres du personnel doivent composer avec l'arrivée d'une nouvelle infirmière de façon quasi quotidienne.

En ce qui a trait à la sacrosainte continuité des soins, on repassera. Il n'y a pas de solutions miracle. Par contre il y a la volonté et la compassion des infirmières qui peuvent être utilisées à bonne escient. Mais encore faut-il que le gouvernement sorte de sa léthargie et change ses méthodes archaïques et centrés sur lui-même en écoutant vraiment ce que disent ses employées.

Jean Bottari, St-Mathias-sur-Richelieu

Le métier a beaucoup changé

Exercé en grande majorité, encore aujourd'hui, par les femmes, le métier d'infirmière a longtemps été considéré - comme celui de maîtresse d'école - aux yeux de l'ensemble de la population comme une extension des fonctions pour lesquelles étaient nées les femmes: servir les autres et répandre partout la bonté et la douceur. Or le travail d'infirmière a beaucoup changé, il est devenu un métier complexe pour lequel la formation est de plus en plus exigeante. Il ne s'agit plus (seulement) de faire des lits et de prodiguer du réconfort. Les responsabilités sont graves, les tâches sont lourdes, et il ne suffit plus pour bien faire son travail d'être remplie d'empathie, de compassion ou de dévouement. Ces qualités sont bien charmantes, et elles peuvent certainement contribuer à faire de vous une meilleure infirmière, mais elles ne seront pas suffisantes pour devenir une professionnelle compétente. Il faut commencer par cesser de traiter les infirmières comme des bénévoles payées, des femmes qui veulent faire le bien et devraient quasiment le faire gratuitement tellement c'est dans la nature des femmes d'aider et de servir. Je me demande bien à quel autre corps de métiers on demanderait de faire le sacrifice de bonnes conditions et de bons salaires sous prétexte que le service doit être rendu coûte que coûte... Étudiante en deuxième année en soins au collégial, je suis bien placée pour voir la désillusion à laquelle font face les étudiantes pendant toutes leurs études. Les conditions dans lesquelles elles étudient, dans lesquelles elles font leur stage, la façon dont elles voient les infirmières être traitées en milieu de travail, tout cela découragerait même les meilleures volontés. Tant que les compétences acquises et le travail accompli n'obtiendront pas une véritable reconnaissance se traduisant par des conditions de travail adaptées aux responsabilités et aux contraintes du métier, je ne vois pas comment on pourra intéresser et stimuler des candidates de qualité.

Stéphanie Beaucaire, étudiante deuxième année en soins infirmiers, cégep Maisonneuve

Les joies d'un horaire régulier

Il est effectivement aberrant de constater que des postes à temps complet demeurent ainsi disponibles alors que la majorité des infirmières de la région de Montréal se plaignent de l'instabilité de leur situation au travail!

Étant moi-même infirmière et ayant bénéficié d'un poste à temps complet dès mon arrivée en centre hospitalier, je peux vous assurer qu'il est très intéressant de voir notre horaire comblé à l'avance, de connaître le département sur lequel s'effectueront nos quarts de travail et d'être ainsi en mesure de planifier notre vie en-dehors de l'établissement sans attendre que notre téléphone cellulaire sonne pour nous rendre à l'hôpital. Je comprends très peu pourquoi les infirmières ballotées sur les trois quarts de travail préfèrent continuer dans de telles conditions plutôt que de se prévaloir d'un statut plus stable. Je ne connais pas les conditions d'embauche de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, ni les exigences reliées à ce genre de poste dans leur établissement. Le noeud du problème se situe peut-être à ce niveau.

Il est certain que le manque de personnel devient moindre quand les infirmières ont un horaire établi à l'avance au lieu de devoir combler les besoins quelques minutes avant le début du quart de travail en tentant de rejoindre des effectifs au téléphone! Imaginez un beau samedi après-midi de printemps pour lequel vous n'aviez encore aucun engagement au travail de prévu... votre portable se fait entendre à 15h15 et on vous demande d'entrer au travail pour 16h! Que feriez-vous? Répondriez-vous ou laisseriez-vous votre boîte vocale faire le sale boulot à votre place? Dites-vous bien que c'est le lot quotidien de centaines de travailleurs à temps partiel dans nos centres hospitaliers québécois. Trouvez une gardienne à 30 minutes d'avis pour un quart de soirée ou un quart de nuit est une gymnastique bien plus périlleuse qu'un numéro de trapèze du Cirque du Soleil! Quand on sait au moins une semaine ou même un mois à l'avance que nous aurons ce genre d'horaire, il est bien plus facile d'organiser la vie sociale et familiale en conséquence et cela diminue de beaucoup les frustrations et les imprévus. Si déjà les trois quarts de l'équipe sont prévus sur l'horaire régulier des infirmières à temps plein et qu'il ne reste que le quart des gens à trouver, nous diminuons le manque à gagner de 75%. Pour les rares fois où les besoins en personnel sont inférieurs au nombre de travailleurs déjà planifié, il suffit d'offrir des absences non-payées (congé de dernière minute) ou encore de déplacer les gens vers les départements les plus embourbés. Qu'est-ce qui coûte le plus cher, selon vous? Un surplus de personnel occasionnel ou des heures supplémentaires presque constant et des congés de maladie payés au personnel victime d'épuisement professionnel? C'est un pensez-y bien!

Aucun métier n'est parfait... mais quand on explique aux gens qui nous entourent les implications de notre profession, très peu se montrent intéressés à entrer dans nos souliers!

Véronique St-Pierre, Sherbrooke

Un modèle de 9 à 5

Dans votre bref article indiquant le nombre de postes vacants et les préférences du personnel infirmier, vous posez la question tout en y apportant la réponse. Les conventions collectives en vigueur dans le système de santé sont la cause première de cet imbroglio. Le gouvernement et les syndicats ont ramené le système de santé à un modèle 9 à 5. Tant pis si vous êtes malades en dehors des heures «normales» de travail, faites le -0- pour parler à un préposé. Un système de santé doit fonctionner 24 heures par jour, sept jours par semaine et 365 jours par année, comme une usine. Remettre les CLSC en fonction 24/7/365 et redéfinir ce qui est vraiment de l'urgence serait un bon départ.

Tant que la volonté politique n'exprimera pas clairement que c'est le «patient» d'abord et la convention collective «après», nous allons nous enfoncer encore plus dans ce marais administratif extrêmement coûteux. Ce n'est pas normal que le système de santé donne de l'emploi à plus de 200 000 personnes et que les services soient «tout croche».

Michel Tranchemontagne, Adm.A, CMC, conseiller de direction

L'individualisme a pris le dessus

Il n'y a jamais eu autant d'infirmières sur le marché, mais une bonne majorité celles-ci ne veut tout simplement pas travailler à temps complet. Les jeunes veulent travailler de jour, du lundi au vendredi, comme si le soir, la nuit, les fins de semaines, à Noël et au jour de l'An, il n'y avait pas de malade dans les hôpitaux. Les anciennes, qui ont des postes de jour, considèrent à juste titre qu'elles ont fait leur part en début de carrière, on ne peut les remettre sur rotation et les jeunes ne veulent pas de poste de rotation sur les trois quarts de travail. Quand elles prennent un poste sur rotation, elles ne rentrent pas travailler de nuit ou les fins de semaines.

Les directions en ont des postes à temps complet à donner, même des permanences de jour, elles n'en veulent pas.

Pourquoi en sommes-nous rendus là? Les mentalités ont changé. Les qualités nécessaires et essentielles pour aimer cette profession ne sont plus au goût du jour. L'individualisme a pris le dessus, malheureusement. Le don de soi, l'abnégation, l'empathie, le sens du devoir accompli sont nécessaires pour être une bonne infirmière, mais rares sont les jeunes qui possèdent ces qualités. Elles pensent à elles, le reste n'a pas beaucoup d'importance. La grande majorité a été éduquée en garderie et dans des familles souvent éclatées, par des parents et des beaux-parents de fin de semaine qui souvent achetaient la paix et leur passaient tous leurs caprices. Je pense que tout part de là, alors peu importe si le gouvernement donne plus d'argent pour les quarts de nuits, de soir, ou de fin de semaine, les jeunes ne sont pas intéressées. Ce n'est pas pour rien que plusieurs se tournent vers les agences, ou encore une fois on leur offre de faire leurs caprices en respectant leur dispo à la lettre. Elles entrent au travail à 8h et à 16h c'est fini, bonsoir, aucune appartenance au milieu, aucun souci du travail bien fait, ne se posent aucune question sur la journée qui vient de finir. Elles ferment les livres et repartent s'occuper de leur propre vie.

Je suis très triste de voir où s'en va le milieu de la santé et ça m'inquiète passablement. Malheureusement, je n'ai pas de solution à court terme. On a trop laissé aller et c'est un ensemble de facteurs qui a causé cette situation et elle ne vient pas nécessairement directement des hôpitaux. Je crois que la cause est bien en amont de l'arrivée des jeunes dans le milieu.

Ginette Boily, une ancienne infirmière très inquiète