Quand l’amoureuse entend pour la première fois son conjoint péter sans retenue derrière les portes closes de la toilette, la lune de miel n’est pas loin de son dernier quartier.

Entre la CAQ et le Québec aussi, des signes d’essoufflement de la romance se font sentir, et Simon Jolin-Barrette vient d’encaisser sa première mise en échec. Devant la fronde populaire, il a fait un premier pas en arrière avant de déposer les armes et c’est tout à son honneur. « La tête est ronde pour que les idées et les convictions puissent parfois changer de direction », ainsi disait un sage qui n’est pas mon grand-père. Personnellement, je préfère le décideur capable de faire amende honorable à ceux qui ferment les yeux, bouchent leurs oreilles et continuent.

Au début de son virage de capot, le ministre nous a dit, probablement à juste raison, avoir accepté d’inclure dans son projet des droits acquis parce qu’il a été touché par la détresse de tous ces étudiants qu’on a vus en larmes à la télé.

Mais le problème avec le très brillant et combatif Simon, contrairement à son patron, c’est que son visage ne montre pas ce qu’il dit ressentir dans le cœur. Ce trait de personnalité qui le caractérise est à la fois une force et une faiblesse.

En effet, il faut reconnaître que l’imperméabilité aux émotions devant les caméras et le harcèlement des journalistes a particulièrement réussi au ministre poker face pendant sa longue traversée du projet de loi 21. 

Par contre, sur le nouveau chapitre de la réforme de l’immigration qu’il a ouvert avant de le fermer sous la pression venue de tous les bords, je crois que l’impassibilité psychoémotive de Simon le cyborg ne lui a pas servi et risque même de laisser des traces.

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« Une formation en sciences juridiques permet de devenir ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion », rappelle Boucar Diouf au ministre Jolin-Barrette.

« La confiance est comme un château de sable : difficile à construire et très facile à détruire », disait l’autre.

Je suis de ceux qui pensent qu’on gagne à garder ce Programme de l’expérience québécoise (PEQ) que nous devons à M. Charest. Il y a au moins deux réalisations pour lesquelles il faut certainement remercier ce dernier malgré la pénombre qui plane sur son règne.

La première, c’est le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Ce programme unique en Amérique est selon les spécialistes de la question parmi les plus généreux de la planète. En plus de donner aux mamans la marge de manœuvre pour rester bien plus longtemps avec leur bébé avant de retourner au travail, ce programme a aussi poussé massivement les papas à prendre des congés de paternité et à participer activement à l’investissement parental. Si seulement 12 % des pères prenaient des congés de paternité dans le reste du Canada, en 2017, au Québec, ce chiffre était estimé à 83 %.

La deuxième raison pour laquelle il faut remercier M. Charest, c’est le PEQ qui fait couler beaucoup d’encre depuis que le ministre Jolin-Barrette a exprimé le désir de le charcuter partiellement.

Le Québec a besoin d’immigrants qualifiés qui parlent français et ce programme lui offre la possibilité unique de recruter des gens qui sont diplômés des universités d’ici. Pourquoi alors se priver d’une clientèle aussi proche et salutaire ? J’ai bien dit salutaire, car au-delà de leur avenir dans l’économie québécoise, les immigrants potentiels qui passent par ce programme ont déjà été des bouées de sauvetage pour bien des établissements d’enseignement d’ici qui peinent à recruter de la clientèle locale. Lorsque les officiels de nos universités disaient au gouvernement craindre pour leur crédibilité à l’international, ils avaient aussi de bonnes raisons. Pour cause, ils utilisent indirectement le PEQ comme appât pour recruter la manne estudiantine venue d’autres pays. 

Rappelons ici que le coût d’un trimestre d’études universitaires pour un étudiant étranger qui n’a pas de bourse d’exemption dépasse 7000 $. Si certains choisissent de faire ce sacrifice pour obtenir un diplôme québécois, c’est aussi parce qu’il y avait cette possibilité d’accéder plus rapidement à l’obtention d’un Certificat de sélection du Québec (CSQ). Alors, imaginez cet étudiant ou cette étudiante qui a dépensé facilement 10 000 $ par trimestre pendant trois ans pour s’instruire au Québec et à qui, au bout de son parcours, le ministre annonce que les règles ont changé. Il a toutes les raisons d’être en ta…

Les étudiants étrangers qui arrivent dans nos universités et cégeps louent des appartements, consomment, payent des frais de scolarité parfois très élevés, augmentent la vitalité démographique de certaines villes en région et occupent des emplois temporaires, ce qui déjà devrait être un argument de taille pour un gouvernement qui se réclame d’une certaine droite économique.

En plus, quand ils terminent leurs études après quelques années d’immersion au Québec, ils n’ont pas besoin que l’État investisse pour les franciser. Pourquoi alors le gouvernement québécois devrait se priver d’un tel jackpot ?

La CAQ n’a pas vraiment d’arguments convaincants sur le sujet, car elle a toujours lié son désir de baisser le nombre d’immigrants à la capacité d’accueil, de francisation et d’intégration du Québec.

Or, ce prérequis ne s’applique pas à la très grande majorité de la clientèle estudiantine du PEQ.

À vouloir absolument réaliser ses promesses de baisser les seuils d’immigration à 40 000, le gouvernement s’est acharné au mauvais endroit. C’est l’histoire du bistouri d’un dégraisseur qui s’attaque aux muscles, parce qu’il ne trouve plus suffisamment de gras à couper pour satisfaire une promesse majeure.

L’autre chose qui me tiquait aussi dans cette réforme désormais sur la glace, c’est la vision trop utilitariste de l’immigration qui est omniprésente dans le discours politique en général. Si importants soient-ils, un politicien désireux d’inscrire l’immigration dans un avenir plus lointain que la durée d’un mandat ne devrait pas la voir avec la seule lorgnette des jobs payants et de ceux à pourvoir. 

S’imprégner de l’identité collective des gens d’ici, s’enraciner dans la nation, adhérer volontairement à notre vision sociétale et au projet interculturel si précieux dans le discours du gouvernement ne sont-ils pas aussi des histoires de cœur, de rencontres, d’humanité et d’intégration mutuelles ?

Vouloir recruter plus d’immigrants dans certains métiers est une chose qui est très compréhensible, mais basculer idéologiquement dans une vision un peu réductrice des diplômes d’études supérieures et des sciences humaines est très regrettable. Les sciences humaines et les diplômes de maîtrise et de doctorat sont aussi importants que tout le reste. Et insinuer qu’il y a trop de diplômés dans certaines disciplines relève de la démagogie, car les gens ont la capacité de se réorienter.

Dans une école secondaire de Longueuil, j’ai rencontré un enseignant sénégalais entouré de ses élèves qui l’adorent. Après discussion avec ce compatriote bien épanoui dans son métier, il m’a appris qu’il détient un doctorat en mathématiques d’une université française. Ce n’était peut-être pas son premier rêve, mais aujourd’hui, il contribue dans cette école à créer peut-être les fiertés québécoises de demain.

De nos jours, le diplôme ne fait pas toujours le domaine de carrière, M. Jolin-Barrette. C’est pour ça, par exemple, que des études en anthropologie peuvent mener au poste de mairesse de Montréal et qu’une formation en sciences juridiques permet de devenir ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion. Aujourd’hui, on peut même passer d’enseignant de théâtre à premier ministre du Canada. Et, pourquoi pas, d’océanographe à humoriste qui chiale dans des chroniques même s’il n’a pas la formation de journaliste.

Dans une société qui se veut visionnaire, le modèle achevé qu’il faut viser, c’est l’équilibre entre les faiseux et les penseux. Comme me l’a déjà dit le défunt maire de Québec Jean-Paul L’Allier, il faut pelleter des nuages si on veut un jour voir briller le soleil.

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