Alors que le débat public s'enflamme sur les questions des valeurs québécoises, une commission sur les enjeux énergétiques sillonne le Québec depuis le 4 septembre, jusqu'au 11 octobre - dans une assez grande indifférence.

La commission a pour mission de consulter les Québécois sur la nouvelle politique énergétique du Québec après 2015, notamment en ce qui a trait à nos objectifs extrêmement ambitieux - inégalés à l'échelle planétaire: ceux de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le Québec vise rien de moins qu'une réduction de 25% de ses émissions. Il a même déjà mis en place un marché du carbone, qui établit un plafond d'émissions de GES pour 2020 à un niveau inférieur de 20% à celui de 1990, équivalent au niveau actuel. (Oui, il manquera encore 5% de réduction à aller chercher quelque part - personne ne sait encore où.)

Deux éléments sont historiques dans l'approche québécoise.

D'une part, aucune société humaine n'a réduit du quart ses émissions de GES en cinq ans sans par ailleurs traverser une crise économique.

D'autre part, aucun marché du carbone actuellement existant ne soumet le secteur du transport à l'obligation d'acheter ses droits d'émissions aux enchères, organisées par le gouvernement, avec un prix plancher d'environ 12$/tonne en 2015. Cela va se traduire par un prix de l'essence à la pompe qui va augmenter d'un minimum de 3 cents le litre en 2015, et vraisemblablement de beaucoup plus par la suite, si l'on veut effectivement réduire les émissions en transport d'ici 2020.

Ces émissions, représentant 45% des émissions totales du Québec, sont en croissance constante depuis 1990. Celles de l'industrie (28% des émissions, soit le deuxième secteur en importance après le transport) sont en déclin de 30% depuis 1990. Demander plus à l'industrie (aluminium, manufactures...) serait un suicide économique.

Demander sa juste part au transport, soit une réduction de 20%, impliquerait une augmentation de 35 cents le litre d'ici 2020: ce serait la hausse de prix nécessaire pour réduire les ventes de carburant, et conséquemment les émissions de GES, au niveau souhaité.

Cette nouvelle taxe sur l'essence, de 3 à 35 cents le litre entre 2015 et 2020, aura de quoi éclipser le débat sur la charte des valeurs. Quand on touche à la valeur de l'essence, les Québécois parlent, hurlent, crient. Faut-il vraiment attendre le choc du prix à la pompe pour amorcer le débat, anticiper l'adaptation au changement, préparer la population? Évidemment non.

Alors, il faut mettre les options sur la table publique si nous tenons à nos objectifs de réduction de GES pour 2020: l'amélioration extrêmement rapide du transport en commun, favoriser avec zèle le transport actif et le covoiturage, promouvoir le télétravail à grande échelle.

Si d'autres options (comme l'électrification du transport) peuvent apporter des solutions à long terme, il est malheureusement impossible de compter sur elles à court terme: elles sont trop coûteuses à déployer, et de toute manière impossibles à mettre en oeuvre en six ans. Le Québec compte 4,8 millions de véhicules sur ses routes (autos et camions légers) - ce n'est pas en visant 300 000 véhicules électriques pour 2020 qu'on aura fait du chemin.

La nouvelle charte des valeurs énergétiques s'écrit actuellement. Elle se discute entre initiés dans les audiences de la commission sur les enjeux énergétiques, mais même la plupart des participants esquivent la radicalisation des valeurs énergétiques qui s'annonce à court terme: celle de la hausse drastique, et inévitable, du prix de l'essence à la pompe.

Il est encore temps de s'y préparer, et d'y échapper. Mais pour cela il faut enlever notre voile et regarder nos options de front. Aurons-nous le courage de changer nos habitudes, ou abandonnerons-nous tout simplement notre objectif dans quelques années, par dépit?

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