Une inconnue de taille pèse sur le déroulement de la campagne électorale: que feront les contestataires du printemps? Reprendront-ils le contrôle de la rue? La rentrée scolaire sera-t-elle perturbée? Enfin, comment l'électorat réagira-t-il devant l'agitation renouvelée?

Toute la campagne se jouera autour de cette dernière incertitude. Pour preuve, les stratégies des partis qui s'organisent autour d'un dosage délicat entre le retour de l'ordre, ce qui inclut la lutte contre la corruption, et des propositions modestes de changements. Ce clivage entre l'ordre et le changement, tout aussi artificiel que la «crise sociale» qui le porte, était prévisible. L'affrontement, maintenant recadré par la consultation électorale, sera arbitré par l'opinion. Cependant, quel que soit le résultat des élections, la contestation ne disparaîtra pas au lendemain du 4 septembre.

Je m'étonne encore que des milliers de citoyens soient mécontents à l'endroit du gouvernement au point de marcher dans les rues, soir après soir, au rythme des casseroles. La hausse des droits de scolarité aura servi de catalyseur à une diversité de revendications qui vont, dans un amalgame déroutant, de la dénonciation du néocolonialisme et de l'homophobie et passant par la surexploitation de l'environnement.

Malgré le nombre des jeunes qui expriment leur désillusion et des citoyens qui déplorent l'immobilisme des dirigeants, il est prématuré de conclure que les Québécois ont découvert la politique et choisi de s'engager dans l'action partisane. Au contraire, choisir l'opposition, ce n'est pas s'inscrire dans l'action politique, c'est tout au plus prendre le parti du refus et de la contestation, laquelle, on le constate, parce que les motifs de mécontentements sont infinis, provoque l'accoutumance.

Les raisons pour lesquelles le conflit social perdure et résiste aux processus de conciliation, c'est que l'engagement solidaire se développe en dehors des institutions et des cadres démocratiques qui régissent nos débats. En démocratie, la principale source de légitimité, ce sont les élections, qui ne peuvent être faites que par les partis. Développée en dehors des cadres partisans, l'agitation actuelle se situe, par choix, en marge des institutions démocratiques.

Mon jugement s'inspire, pour sa grande actualité, de la critique du culte de la révolution proposée par Raymond Aron dans son ouvrage L'opium des intellectuels. L'indignation, dont nous sommes témoins, a pris la forme d'une protestation à caractère moral qui rejette nos processus institutionnels de gouvernance. À ce titre, malgré les efforts déployés par les partis de l'opposition, la contestation est irrécupérable. La CLASSE l'a compris en prônant une «démocratie directe» au fonctionnement nébuleux dont émanent de forts relents populistes. On notera, dans un retournement savoureux, que les étudiants exigent d'être «écoutés» des dirigeants politiques. Leurs parents et enseignants, instruits par la pédagogie, ont depuis longtemps abandonné cette prétention.

Les recherches de solutions, les appels au réalisme, la confrontation avec les contraintes et les priorités collectives, bref les arbitrages, qui interviennent dans tout processus de décision, ont été systématiquement rejetés, au nom des solidarités. Les épisodes pénibles des négociations auxquelles les dirigeants étudiants ont été conviés à répétition dans des tentatives, toutes infructueuses, de résoudre la question, somme toute accessoire, des droits de scolarité, illustrent cette impasse. Enfin la passion pour l'égalité signifie le rejet de l'analyse et du calcul économique, le refus de toute considération pour le possible, essence du politique.

Au bilan, la nature affective de la contestation rend le présent conflit irréconciliable. L'agitation sociale, déclenchée par les étudiants, parce qu'elle refuse les institutions politiques en place, au nom du respect de la démocratie, n'est pas soluble dans une consultation électorale.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion