Qu'est-ce qu'une nation, une identité nationale?

À cette question classique, la philosophie politique a longtemps apporté une réponse organisée autour de deux possibilités principales: une nation, c'est pour les uns, dans une tradition souvent tenue pour allemande, une unité historique, culturelle et un même sang; c'est pour les autres une unité politique, un sol et une citoyenneté, un «plébiscite de tous les jours», disait Ernest Renan à propos de la France à la fin du XIXe siècle.

Mais sommes-nous toujours dans un espace balisé par ces deux types de définitions? Trois cas singuliers, en France, apportent ici une réponse plutôt surréaliste.

Le premier, le plus élémentaire, est celui de Bernard Arnault, richissime homme d'affaires, une des plus grosses fortunes du pays, qui a demandé en juillet dernier la nationalité belge pour des raisons fiscales - il paierait moins d'impôts en Belgique une fois sa demande acceptée par les autorités du pays, ce qui d'ailleurs semble loin d'être acquis.

Le second cas est celui de Gérard Depardieu, dont le départ annoncé vers la Belgique en décembre dernier, là encore pour échapper à la fiscalité française, est à l'origine d'un feuilleton rocambolesque: critiqué par le premier ministre, qualifiant son comportement de «minable», l'acteur, indigné, a fait des déclarations fracassantes avant de faire savoir que, finalement, il choisissait la Russie de son ami Poutine, pays dont il a vanté les vertus démocratiques et qu'il a, dit-il, appris à aimer en écoutant Radio Moscou dans son enfance, aux côtés de son père communiste.

Troisième cas - on croit rêver encore plus: Brigitte Bardot, la star des années 60, qui fait savoir que si deux éléphants du zoo de Lyon, malades de tuberculose et hautement contagieux pour les humains, sont euthanasiés, comme annoncé par les autorités publiques, elle quittera la France pour la Russie.

Ces affaires rouvrent de manière étonnante le débat sur l'identité nationale que le président Sarkozy avait voulu lancer en 2009. Être Français, avec les droits et les devoirs que cela implique, peut donc être remis en cause parce que l'on trouve la fiscalité écrasante (Bernard Arnault, Gérard Depardieu), qu'en plus on n'accepte pas d'être critiqué d'une façon que l'on juge méprisante par un responsable au pouvoir (Depardieu), ou bien encore au nom de la protection des animaux, et sous la forme d'un chantage. La citoyenneté, l'identité nationale deviennent un attribut de la personne, qui peut, dans cette perspective nouvelle, juger bon de s'en dessaisir, faire le choix d'une autre citoyenneté.

On est ici au plus loin du droit du sang, puisque l'appartenance à une nation devient un choix personnel qui n'est apparemment pas politique, ou pas directement, même si les trois cas évoqués sont à l'évidence bien plus à droite qu'à gauche. Il ne s'agit pas pour autant de droit du sol, la question n'est pas de savoir où l'on vit en citoyen, physiquement, géographiquement, sur quel territoire, mais sous quelle législation on paiera moins d'impôt, ou bien où l'on aura plus de satisfaction pour un combat particulier que l'on mène.

Les États-nations sont ainsi en quelque sorte mis en compétition, et si celui d'où l'on procède propose moins que d'autres, eh bien! on le quitte. Non pas par cosmopolitisme, pour devenir citoyens du monde, mais pour rejoindre une autre nation.

Ainsi, les grands discours sur l'identité nationale ont ici perdu sens, l'important n'est ni les valeurs universelles de la démocratie et de la citoyenneté, ni l'idée d'un lien historique, culturel. Seuls comptent l'argent, l'ego malmené ou les lubies personnelles.

L'idée de nation ne sort pas grandie de telles péripéties, et encore moins ceux qui la manipulent à des fins économiques, narcissiques ou pour exercer un chantage.

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