On serait tentés de saluer l'ouverture d'esprit du gouvernement Couillard qui s'est récemment montré réceptif à l'idée, lancée par le Parti québécois, de créer un périmètre de sécurité autour des 47 cliniques d'avortement de la province.

On notera toutefois qu'il n'y a pas d'engagement ferme ni d'échéancier précis et que le gouvernement se contente de qualifier le projet d'intéressant, réprimant tout débordement d'enthousiasme devant une initiative de l'opposition officielle.

Ce qui surprend surtout dans ce dossier, c'est la procrastination du législateur à adopter une loi qui n'a pourtant rien de bien sorcier et qui permettrait d'assurer la protection des droits fondamentaux des femmes qui choisissent d'interrompre leur grossesse. Si le droit à l'avortement est reconnu et accepté au sein de notre société ouverte et moderne, il n'en demeure pas moins périodiquement fragilisé par des militants anti-choix dont les tactiques et interventions briment le droit des femmes de recevoir des soins de santé en toute sécurité et confidentialité.

Les méthodes pour le moins discutables de ces insistants militants ont resurgi dans l'actualité en juin 2015 alors que trois cliniques d'avortement présentaient en Cour supérieure une demande d'injonction visant notamment à ce que les membres et sympathisants de Campagne Québec-Vie cessent d'importuner et d'intimider leurs patientes et employés.

On apprenait alors que ces individus, pancartes « Non à l'avortement » à la main, remettent des dépliants aux femmes tout en scandant des slogans à la porte même des cliniques. Ils ont suivi une employée d'une clinique dans le métro, ils proposent à des femmes de trouver une famille pour leur enfant à naître et comparent l'avortement à un meurtre en qualifiant les cliniques d'avortoirs. Les femmes se retrouvent prises au piège et captives de ces messages et manoeuvres d'intimidation.

UN PROBLÈME RÉCURRENT

Or, cette troublante réalité ne date pas de 2015 et elle empoisonne la vie des femmes et des employés des cliniques depuis plusieurs décennies. Une première injonction protégeait d'ailleurs la clinique Morgentaler entre 1995 et 2014, mais tout fut à refaire avec son déménagement. En juin 2008, le juge André Roy de la Cour supérieure du district de Hull avait également accueilli une demande d'injonction semblable présentée par la Clinique des femmes de l'Outaouais pour des motifs similaires.

Le tribunal avait conclu que les libertés d'expression, de religion et de conscience des militants anti-choix n'étaient pas absolues et ne pouvaient compromettre la sécurité et la confidentialité des femmes à qui on doit assurer l'accès à l'avortement libre et sécuritaire. Cela est d'autant plus vrai, puisque ces femmes se trouvent en situation de vulnérabilité où la menace à leurs droits est susceptible d'ébranler leur intégrité physique et psychologique.

Par ailleurs, le recours aux tribunaux et la multiplication des injonctions à la pièce ne sont pas le remède de choix pour traiter le problème. Non seulement ces procédures sont coûteuses pour les cliniques, mais malgré les injonctions prononcées, les militants se déplacent, recommencent et trouvent des façons créatives de contourner les ordonnances. En l'absence d'une disposition législative claire et solide, la bataille est condamnée à demeurer un éternel recommencement.

En exprimant son ouverture au projet de loi du PQ, la ministre Thériault a fait état d'une loi semblable en Colombie-Britannique. Or, cette loi, qui crée des zones tampons inviolables de plusieurs mètres de diamètre autour des cliniques et de leur personnel, a été adoptée il y a plus de 20 ans et a passé avec succès l'épreuve de la Charte.

La question se pose donc : devant une telle évidence et la position unanime des tribunaux, pourquoi ne pas avoir légiféré plus tôt ?

Il est devenu impératif que le Québec, qui se vante d'être à l'avant-garde en matière législative, mette fin à cette inacceptable procrastination et soit à la hauteur de sa réputation, alors que les droits fondamentaux de milliers de femmes sont au coeur du débat.

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