« C'est Madame Julie ! C'est Monsieur Daniel ! » Ainsi s'exclamaient mes garçons la semaine dernière alors que nous roulions devant l'école où les enseignants en grève de notre secteur avaient rendez-vous pour une séance de piquetage sous un ciel menaçant, de lourds nuages gris et un vent à écorner les boeufs.

Pendant ce temps, des parents témoignaient dans les médias des conséquences de ces journées de grève sur leur logistique familiale. Certains traitaient les enseignants de bébés gâtés, d'autres évoquaient leurs propres conditions de travail difficiles et précaires, insistant sur la sécurité d'emploi, le fonds de pension et les généreuses vacances consenties aux enseignants.Hier, la colère d'un obscur mouvement de contestation a culminé avec des appels à la bombe qui ont paralysé de nombreux établissements scolaires et mobilisé d'importantes ressources policières.

Devant ces commentaires désobligeants et ces réactions enragées, je suis frappée par la façon absolument remarquable, soudaine et sans subtilité, que nous avons parfois de brusquement retourner notre casquette de côté. Si le phénomène des chaînes humaines autour des écoles, né au printemps dernier dans un élan de soutien envers l'école publique, s'est répété cette semaine, on remarque que les maillons se sont affaiblis et que les chaînes se sont raccourcies depuis que six journées de grève ont été votées, provoquant un certain agacement et des soupirs impatients chez les parents. Nous achetons le principe théorique, mais lorsque arrive le moment névralgique où il faut le défendre en pratique, au prix de quelques efforts, inconvénients et dérangements, nous sommes soudainement moins nombreux à afficher présents.

On oublie pourtant que la plupart des piqueteurs ne font pas les cent pas sur le trottoir de gaieté de coeur. Sans salaire, se gelant oreilles et orteils, ils songent au retard pris dans leur plan de cours et aux efforts supplémentaires qu'ils devront fournir pour couvrir leur matière. Sans compter que les chaînes humaines réchauffent peut-être les coeurs, mais elles ne réparent malheureusement pas le mobilier brisé et ne règlent pas les nombreux problèmes qui gangrènent le système d'éducation.

Il m'arrive d'espérer voir un jour un docu-réalité, semblable à De Garde 24/7, qui nous transporterait dans le milieu scolaire. On y verrait sans doute des écoles gérées par des monstres bureaucratiques, des professeurs qui se promènent de contrat en contrat pendant des années avant de pouvoir espérer obtenir un poste, des enseignants qui manquent cruellement de ressources matérielles et professionnelles et qui doivent composer avec un nombre croissant d'enfants souffrant de problèmes de comportement sévères, et parfois même de pathologies psychiatriques graves et dont les parents, à bout de souffle, ont abdiqué. Il suffit d'avoir vécu quelques expériences de bénévolat ou participé à des activités dans les classes de nos enfants, dont on sort d'ailleurs un peu sonné et étourdi, pour constater que l'ampleur de la tâche des enseignants est titanesque et que l'éducation est une véritable vocation.

L'objectif du premier ministre de redresser les finances publiques est fort louable, mais certains coups de sabre se donnent présentement à l'aveuglette.

Le gouvernement a tort de traiter l'éducation comme n'importe quel autre poste de dépenses, refusant ainsi de reconnaître que la formation de la prochaine génération est en soi une bien délicate mission.

Le gouvernement a dénoncé, avec raison, le geste lâche posé hier. Il ne se plaint toutefois pas de voir les parents s'impatienter et taper du pied devant les divers moyens de pression. Ne lui donnons pas raison et ne laissons pas les journées de grève, et la désorganisation familiale qu'elles entraînent, effriter notre sympathie envers les enseignants. Organisons-nous, entraidons-nous et soyons solidaires d'une cause qui va bien au-delà de notre petit quotidien. Et surtout, gardons notre casquette face devant ; ce sera toujours plus efficace pour affronter le vent.

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