La poussière devra retomber sur les affaires Ghomeshi et Andrews/Pacetti avant que nous saisissions l'ampleur du mouvement qu'elles ont provoqué. Néanmoins, les déclarations de nos élus provinciaux, diluées dans un océan de réactions émotives, font sursauter et suggèrent que l'Assemblée nationale a la tête plongée dans le sable jusqu'au cou.

Agnès Maltais a en effet affirmé que « dans l'Assemblée nationale, on n'a pas vécu ce qui s'est passé à Ottawa. Ce serait immédiatement dénoncé ». Comme si d'une part, les politiciens provinciaux étaient immunisés contre le commentaire déplacé et la main baladeuse et que d'autre part, l'omerta n'avait aucune emprise sur eux. Voilà une vision bien idéaliste d'une réalité souvent autrement plus cruelle.

La ministre de la Justice Stéphanie Vallée a renchéri en ajoutant que « dans notre aile parlementaire, une victime peut toujours se confier au whip du parti politique ». Elle s'est bien gardée de mentionner que l'idée, pour une victime, de se confier au whip, potentiellement le voisin de bureau ou le partenaire de tennis du présumé harceleur, n'est assurément pas très attrayante.

Enfin, Manon Massé a noté qu'« il y a des lois, il faut s'appuyer sur ces lois ». Malheureusement, les législateurs eux-mêmes semblent voler au-dessus de ces fameuses lois. Tant à Ottawa qu'à Québec, les principaux intéressés ont admis, du bout des lèvres et dans un mélange de gêne et de malaise, qu'il n'existe pas de procédure précise destinée à gérer des cas de harcèlement sexuel.

Des mailles dans le filet

Parlons-en donc de ces lois, de celles applicables au Québec du moins. Le 1er juin 2004, la Loi sur les normes du travail a connu une véritable révolution avec l'adoption de dispositions législatives offrant un recours utile aux employés qui s'estiment victimes de harcèlement psychologique, lequel couvre notamment les diverses formes de harcèlement sexuel.

En plus de définir la notion de harcèlement psychologique, les modifications apportées à la loi ont également confirmé le droit du salarié à un milieu de travail sain et sécuritaire et, conséquemment, les obligations de l'employeur à cet égard. Ce dernier se doit donc de prévenir le harcèlement et de prendre les moyens pour le faire cesser, le cas échéant, sous peine de voir sa responsabilité engagée.

Les tribunaux ont ainsi reconnu que l'existence d'une politique de prévention et de gestion du harcèlement est souvent incontournable dans les entreprises. Or, comble de l'ironie, une telle politique visant le harcèlement sexuel ne semble pas exister à l'Assemblée nationale et celle en place au Parlement fédéral ne couvre que le personnel non-politique !

En élargissant l'horizon, on peut aussi invoquer plusieurs des droits fondamentaux conférés par la Charte des droits et libertés de la personne. Un processus de plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des recours devant le Tribunal des droits de la personne sont d'ailleurs expressément prévus pour les victimes de harcèlement. De plus, les victimes peuvent se voir indemnisées par la CSST si, à la suite de harcèlement, elles souffrent de problèmes de santé qui répondent aux critères de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Si l'abondance et la solidité des lois ne soulèvent aucun doute, encore faut-il qu'aucun employeur, incluant les législateurs eux-mêmes, ne puisse s'y soustraire, surtout lorsque des intangibles, comme le pouvoir et la célébrité, entrent en jeu. Les récentes histoires de moeurs qui ont enflammé l'actualité auront révélé quelques mailles dans le filet que nous nous sommes tricoté ; des trous béants que nous ne pouvons plus ignorer et que nous devrons réparer à coups de discussions, de sensibilisation et d'une rigoureuse application de la législation.

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