On les surnomme parfois la «ligue du vieux poêle». La plupart sont des retraités qui traînent dans les couloirs du palais de justice de Montréal et qui se promènent d'une salle d'audience à l'autre, assistant aux divers procès et débats judiciaires qui s'y déroulent.

En fin d'après-midi, ils se donnent rendez-vous pour un café et se racontent les faits saillants de «leurs» procès respectifs, commentant au passage le travail des avocats et des juges. Si cet étonnant club social a un petit quelque chose de cocasse, il symbolise néanmoins un principe fondamental de notre justice, soit la publicité des débats, précieux atout de notre démocratie. Ceci dit, il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus dans la ligue du vieux poêle!

La question de la télédiffusion potentielle des procès fait présentement surface avec la cause de Luka Rocco Magnotta, que les autorités judiciaires ont refusé, en mars dernier, de télédiffuser, et qui se tient pour les deux prochains mois dans une salle d'audience qui ne peut accueillir que cinq membres du public. Le juge André Vincent, dans son jugement ordonnant la remise en liberté de Guy Turcotte d'ici la tenue de son nouveau procès, a lui aussi, sans doute malgré lui, inscrit le sujet à l'ordre du jour en soulignant «qu'un public bien informé comprendrait sa décision».

La question se pose donc dans toute sa légitimité: doit-on permettre la télédiffusion de certains procès?

J'estime que oui, tout comme je crois que les opposants au projet, emmurés dans un conservatisme certain, entretiennent des craintes injustifiées. Ils évoquent notamment le risque de discréditer notre justice en la transformant en spectacle et la nécessité de protéger les victimes, leur famille et les témoins qui pourraient se sentir intimidés par l'appareil médiatique et remettre en question leur participation au processus judiciaire.

Or, notre justice prévoit justement des mécanismes pour maintenir le contrôle et prévenir les abus, notamment les ordonnances de huis clos et de non-publication. La loi confirme également que le juge est maître de sa salle d'audience et qu'il possède le pouvoir d'intervenir en tout temps pour maintenir l'ordre et le bon déroulement des débats. Non seulement des balises sont à portée de main, mais l'idée n'est pas d'étendre la télédiffusion des procès à l'ensemble des débats judiciaires, dont certains sont, au demeurant, fort ennuyants.

En revanche, les procès qui soulèvent les passions dans la population représentent des occasions uniques pour le système de justice de démontrer sa transparence, d'éduquer les citoyens et de nourrir leur confiance envers lui. J'ai mal à notre Justice devant l'ampleur de l'indignation collective suscitée par l'affaire Turcotte et je reste convaincue que le public gagnerait à voir les avocats et les juges travailler et à constater comment les lois sont appliquées. D'ailleurs, les projets pilotes ailleurs au Canada semblent pour le moment concluants, sans compter que les audiences des commissions Gomery, Bastarache et Charbonneau ont confirmé l'intérêt de la population à l'égard de l'exercice judiciaire, sans que ne soit compromise la saine administration de la justice.

Le caractère public des débats judiciaires n'est heureusement pas en péril, grâce au travail de journalistes compétents qui rapportent le déroulement des procès sur les diverses plateformes médiatiques. Néanmoins, à une époque où chacun se réclame du droit de voir, d'entendre et de se forger sa propre opinion, ce n'est plus suffisant.

Puisqu'il ne faut toutefois pas rêver d'une initiative des autorités judiciaires, il appartiendra à la société civile d'exercer des pressions afin que cet incontournable virage soit entrepris. Que la ligue du vieux poêle et tous ses aspirants membres, de Chicoutimi à Rimouski, se le tiennent pour dit.

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