Adolescente, j'étais fascinée par une publicité des Forces Armées Canadiennes dans laquelle, au son d'une musique rythmée, de jeunes soldats souriants défilaient en pleine action dans une atmosphère de camaraderie. Sous le charme, j'ai même évoqué la possibilité de m'enrôler, au grand dam de mes parents.

L'idée a fini par passer, mais j'ai toujours éprouvé un grand respect pour ceux qui choisissent de servir leur pays, à une époque où les intérêts individuels ont depuis longtemps surpassé les valeurs collectives. J'ai en tête le souvenir d'un matin de janvier 1998 où, au coeur de la crise du verglas, les véhicules militaires blindés stationnés devant mon petit appartement sans électricité avaient quelque chose de rassurant, ou encore celui des sauvetages effectués lors des inondations de la rivière Richelieu en 2011.

Le gouvernement Harper est fier de son armée et s'enorgueillit du travail accompli par ses troupes dans les missions de paix internationales. Si les superlatifs sont à l'ordre du jour pour saluer, avec raison, les succès de l'Armée canadienne, les chiffres manquent de transparence quant aux problèmes de santé mentale qui affligent une partie de ses militaires. Selon des experts, le taux déclaré de soldats souffrant de troubles mentaux liés à leur mission, 14 %, serait largement sous-estimé, tout comme le nombre de suicides, 22 depuis 2011, lesquels n'incluent pas les statistiques des soldats réservistes.

On ne peut toutefois reprocher au gouvernement Harper de rester impassible devant la douleur de ses soldats. On peut même affirmer que les quatre récents suicides l'ont ébranlé alors que le ministre de la Défense, Rob Nicholson, les a qualifiés de « très troublants », en précisant cependant que depuis 2011, son gouvernement avait consacré des millions de dollars supplémentaires pour le traitement psychologique des soldats de retour d'Afghanistan.

Le printemps dernier, le ministre des Anciens Combattants, Steven Blaney, annonçait d'ailleurs le lancement d'une application pour téléphones intelligents offrant de l'information et des ressources sur l'état de stress post-traumatique ainsi que le financement d'une étude universitaire. Ces annonces s'ajoutent aux divers programmes et centres de ressources auxquels les militaires et leurs familles ont déjà accès.

Malheureusement, la compassion et la sympathie du gouvernement ne suffisent pas et malgré l'existence des ressources, la récente succession de suicides confirme des failles importantes dans le système d'aide et de soutien, et plus particulièrement dans la philosophie qui règne au sein des Forces armées.

Les soldats qui osent dénoncer la culture actuelle parlent du secret qui entoure les problèmes de maladie mentale, une sorte d'omerta, et de la crainte d'être stigmatisés par leurs collègues et leurs supérieurs. Certains évoquent également la lourdeur de la bureaucratie, que la multiplication des ressources a sans doute aggravée. Dans le contexte où les soldats malades peinent déjà à demander de l'aide, il faudrait leur simplifier la tâche en créant, par exemple, un guichet unique.

Quant aux préjugés qui persistent sur la maladie mentale des soldats, il faut s'y attaquer avec la même énergie que nous déployons à combattre ceux qui prévalent dans les milieux de travail civils. Si la société a fait un bon bout de chemin à ce chapitre, il semble que les Forces armées, chasse-gardée de l'image de l'homme fort, protecteur et inatteignable, résistent. La solution est donc à la fois politique et sociale.

Dans les gants de fer de plusieurs soldats canadiens se cachent des mains de velours abîmées et des âmes brisées que le gouvernement doit soigner avec diligence et humanité. C'est bien là le moindre qu'il puisse faire pour ceux qui le servent au péril de leur propre vie.

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