C'est bien connu: l'être humain est génétiquement réfractaire au changement, préférant souvent le confort du statu quo à l'insécurité de la nouveauté.

Devant la réalité technologique des médias sociaux, la Cour du Québec a récemment édicté de nouvelles règles visant à encadrer l'usage d'appareils électroniques dans les salles d'audience de la province. Ainsi, il sera dorénavant «interdit de diffuser ou de communiquer des textos, des observations, de l'information, des notes, des photos ou des documents audio ou vidéo de l'intérieur d'une salle d'audience vers l'extérieur».

Toutefois, il sera permis aux avocats et journalistes d'utiliser leurs appareils électroniques pour prendre des notes ou consulter des documents. La Cour du Québec a expliqué que ces règles étaient rendues nécessaires pour maintenir le décorum et préserver la qualité de l'information transmise au public.

Le décorum est certes une valeur importante de notre système de justice. Mais qui diable peut savoir ce que font réellement une tête penchée sur l'écran et des doigts pianotant sur le clavier d'un appareil électronique? «Prennent-ils des notes» comme l'autorisent les règles? Rédigent-ils une requête urgente dans un dossier? Écrivent-ils un message enflammé à un amoureux? Bien malin celui qui pourrait affirmer avec certitude à quoi sont occupés ces pouces fébriles puisque, abstraction faite de Twitter dont les messages sont destinés à un large public, les courriels et textos sont de nature privée.

Quelqu'un devra donc veiller à la bonne conduite électronique des avocats et journalistes, et imposer les sanctions appropriées, ou il faudra s'en remettre à la bonne foi des protagonistes qui, si elle se présume, reste néanmoins influencée par une certaine dépendance à la chose électronique.

Ces nouvelles règles sont aussi révélatrices d'un autre trait, peu reluisant, de l'humain: celui de son besoin de contrôler son environnement. Ainsi, on a invoqué au soutien de ces nouvelles règles le fait qu'un gazouillis de 140 caractères n'offre pas une analyse aussi juste et approfondie qu'un article journalistique, le tout dans un contexte où il est essentiel que l'information rendue publique vulgarise de façon nuancée les questions judiciaires.

Premièrement, il n'existe aucune différence entre un gazouillis transmis en temps réel pendant qu'un témoin livre son témoignage et celui envoyé 10 minutes plus tard à la pause du midi. Le contenu du deuxième, permis par les règles, n'est pas plus long, profond ou fouillé que le premier, celui-là interdit; il est simplement envoyé de l'extérieur, plutôt que de l'intérieur, de la salle d'audience.

Deuxièmement, les sources d'information contemporaines se multiplient et aussi légitime et ardent que soit notre désir de préserver la confiance de la population dans notre système de justice, il est carrément impossible de contrôler l'exactitude des informations qui circulent sur les diverses plateformes. Il appartient à chacun de choisir des sources fiables et crédibles tout en étant conscient que les renseignements publiés peuvent être fragmentés.

Ces nouvelles règles ne sont pas sitôt entrées en vigueur au Québec qu'une juge d'Ottawa a plutôt adopté une solution alternative plus souple en autorisant, sous réserve de certaines modalités, l'utilisation de Twitter dans sa salle d'audience. Une preuve, selon moi, de la rigidité excessive des nouvelles règles de la Cour du Québec.

Si la nouveauté effraie, la faculté d'adaptation est un muscle qui, s'il n'est pas sollicité, s'atrophie pour devenir flasque et mou. Plutôt que de réagir de façon exagérément prohibitive, la Cour du Québec devrait entraîner son muscle de l'adaptation en acceptant avec ouverture la nouvelle réalité technologique. Les interdictions édictées ne serviront les intérêts de personne, surtout pas ceux de la Justice.

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