Dans la foulée des sorties enthousiastes de nos nouveaux ministres, c'était récemment au tour de Stéphane Bergeron de plonger sous le feu des projecteurs en annonçant la création prochaine d'un bureau indépendant, composé entre autres de civils ayant de réels pouvoirs de surveillance, auquel seront confiées des enquêtes sur le travail policier.

L'idée ressemble à une version améliorée du défunt, et abondamment critiqué, projet de loi 46 des libéraux, qui prévoyait que les enquêtes seraient effectuées par des policiers ce qui, au final, n'aurait que confirmé et validé des pratiques qui sont au coeur du manque de confiance de la population à l'égard des enquêtes impliquant des policiers.

Le ministre Bergeron a précisé que l'organisme québécois s'inspirera du modèle ontarien, ce qui a fait bondir le critique libéral en matière de Sécurité publique, Robert Poëti, qui soutient que l'expérience ontarienne est loin d'être un succès.

Qu'en est-il donc de cette Unité des enquêtes spéciales (UES) ontarienne, que même la protectrice du citoyen a vantée l'hiver dernier? Il s'agit d'un organisme civil indépendant de la police qui possède le mandat statutaire de mener des enquêtes afin de déterminer si une infraction criminelle a été commise par des policiers et dont la compétence est limitée aux incidents ayant causé des blessures graves ou un décès. Suivant le résultat des enquêtes, le directeur de l'UES détermine si des accusations criminelles doivent être déposées contre les policiers impliqués. Les statistiques de l'UES révèlent que le nombre d'événements sous la gouverne de l'UES est en progression et atteint 304 incidents pour l'exercice 2011-2012.

Depuis sa création en 1990, l'UES a fait l'objet de critiques, de polémiques et d'au moins cinq examens externes ayant mené à des rapports critiquant notamment la coopération de la police, l'insuffisance des ressources et l'efficacité opérationnelle.

Encore récemment, la Cour d'appel de l'Ontario était saisie d'un dossier où les pouvoirs et la juridiction de l'UES étaient contestés par un corps de police (2012 ONCA 292). Dès les premières lignes du jugement, le tribunal fait état du rôle controversé de l'UES depuis sa constitution et des relations tendues et souvent hostiles qu'elle entretient avec les divers corps policiers de la province.

C'est tout à l'honneur de Stéphane Bergeron de ressusciter le projet de loi 46 tout en lui donnant plus de mordant. Il importe néanmoins de prendre garde à ne pas mettre le pied dans un piège à renard en créant une entité dont la légitimité pourrait faire l'objet d'interminables et coûteuses contestations judiciaires.

Il faudra aussi se rappeler que les bavures policières, comme en témoigne l'affaire du matricule 728, sont parfois bien plus sournoises et discrètes qu'un coup de matraque au visage. La falsification de rapports, la collusion entre collègues et la loi de l'omerta constituent des fautes tout aussi graves et pernicieuses que l'usage intempestif de violence. Ces bévues ne sauraient par ailleurs se soustraire au regard scrutateur de notre organisme indépendant, contrairement au pendant ontarien qui se borne à enquêter sur les incidents ayant causé des blessures graves ou la mort. Avant de nous coller au modèle de l'UES, une sérieuse réflexion s'avère donc incontournable.

Bref, ce projet, tout aussi noble et nécessaire qu'il soit, constitue une belle grosse patate chaude avec laquelle le ministre Bergeron devra jongler et qui, avant longtemps, pourrait bien lui brûler le bout des doigts.

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