Commission Charbonneau oblige, le premier ministre Philippe Couillard sait qu'il devra être transparent s'il veut conserver sa légitimité de gouverner. Cette nouvelle vertu cardinale de transparence, le pape François aussi devra la faire pratiquer à tous les niveaux de l'Église catholique, s'il veut que l'autorité morale de celle-ci survive à l'interminable crise des abus sexuels de prêtres et de religieux sur des mineurs.

Pour les libéraux, il s'agit de prouver que l'ère Charest est derrière eux et qu'ils ont retenu la leçon. Pour l'Église, il s'agit de démontrer qu'on a pris les moyens adéquats pour que les scandales ne se répètent plus. C'est un enjeu majeur: s'il est vrai que souvent, «le messager est le message», alors bien des gens continueront de se boucher les oreilles devant un prêtre tant que le problème semblera persister.

Comme au Québec, où l'on attend le dénouement du procès de neuf pères rédemptoristes, il est évident qu'à bien des endroits dans le monde, beaucoup de travail reste à faire. C'est pourquoi François vient de constituer une commission consacrée au sujet. Plusieurs observateurs espèrent que cette dernière, qui se réunira pour la première fois dans les prochains jours, s'attaquera sans complexe à une certaine culture ecclésiale du déni, de l'impunité et du secret.

Pour le passionné d'histoire, rien n'est moins surprenant que cette face obscure de la culture ecclésiale. Pendant de longs siècles, au Moyen Âge, les clercs jouissaient d'une certaine immunité judiciaire. Il n'était pas question, pour l'Église, de laisser la vindicte populaire ou les tribunaux civils, souvent mal organisés et incultes, se charger de juger des «hommes de Dieu». Alors l'Église s'arrangeait avec ses délinquants, préférant souvent, non sans raison parfois, réhabiliter plutôt que châtier.

Cette immunité fut mise à mal bien avant l'établissement des États de droit, mais les réflexes pluriséculaires ont la vie dure. Jusqu'aux dernières années du pontificat de Jean-Paul II, cette maxime prévalait encore à peu près en toute matière, même criminelle: «Pour le bien de l'Église, il faut laver notre linge sale en famille».

Néanmoins, aujourd'hui, la plupart des évêques prennent acte du changement des mentalités des dernières décennies concernant le phénomène de la pédophilie, et souscrivent à l'exigence de transparence tant que la présomption d'innocence est respectée. Benoît XVI a oeuvré en ce sens: il a laïcisé de force plus de 400 prêtres au cours des seules années 2011 et 2012.

Où se situe le pape François?

François emboîte-t-il le pas? Dernièrement, les associations défendant les victimes de prêtres et de religieux ont sursauté lorsque le pape a qualifié de «sévère» le rapport du Comité des droits de l'enfant de l'ONU sur la gestion de la crise par le Vatican. Perpétuation du déni typiquement ecclésial, ou évaluation grevée de préjugés de la part de l'ONU?

Quoi qu'il en soit, François en a rassuré plusieurs il y a trois semaines en demandant personnellement pardon pour les crimes commis, et en évitant de minimiser l'ampleur des dégâts. Il a admis que «plusieurs prêtres» avaient failli à leur ministère d'amour. C'est beaucoup plus franc que d'évoquer les traditionnels «cas isolés», et plus élégant que de se plaindre de la persécution de l'Église dans ce dossier.

Autre élément encourageant: la commission qu'il a mise sur pied renferme un seul évêque, deux prêtres et cinq laïcs, dont quatre femmes. Parmi ces femmes, on retrouve Marie Collins, une ancienne victime qui n'a pas la réputation d'être complaisante envers les autorités de l'Église.

Il y a donc des raisons d'espérer. Mais reste à voir si ces initiatives déboucheront réellement sur une plus grande imputabilité des évêques, une meilleure prévention, une saine gestion des anciens et des nouveaux cas, et une attitude plus humble, plus chaleureuse, bref, plus évangélique envers les victimes.

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