Campagne électorale oblige, le bilan du gouvernement passe actuellement sous le scalpel de divers experts, tout comme les paroles et gestes des chefs de parti. Au même moment, Mgr Christian Lépine célébrera demain ses deux ans comme archevêque de Montréal... sans qu'aucune évaluation de son ministère ne soit effectuée.

La quasi-absence de journalisme religieux au Québec explique partiellement ce phénomène. Mais la raison principale demeure le fait que dans le modèle hiérarchique catholique, l'avis des simples fidèles n'a guère d'incidence sur les nominations d'évêques, au contraire des électeurs en démocratie.

Si ce modèle a ses avantages, il tend néanmoins à sacraliser à l'excès la fonction épiscopale et à induire une culture de passivité. L'évêque étant nommé par le Vicaire du Christ et représentant le Bon Pasteur au milieu de son troupeau, sur quelle légitimité s'appuierait le mouton noir refusant de bêler en choeur ?

D'où certaines situations aberrantes : en 1988, Jean-Paul II parachuta à Cologne un archevêque ultraconservateur, Joachim Meisner. Comparant entre autres l'athéisme au nazisme, ce dernier mit les Colognais plusieurs fois dans l'embarras. Finalement, 25 ans après leur avoir dit « Vous ne voulez pas de moi. Je ne veux pas être là non plus », le cardinal Meisner vient de quitter ses fonctions en raison de son âge. 

Pour éviter de pareilles souffrances inutiles, les catholiques doivent oser une critique responsable de leurs pasteurs. Ainsi, plongeons dans le vif du sujet : comment Mgr Lépine s'en tire-t-il après deux ans comme archevêque de Montréal ?

Côté gouvernance, plusieurs de ses décisions laissent pantois : son moratoire sur la vente et la location du patrimoine religieux coûte très cher. Des dizaines de millions seront nécessaires pour restaurer et entretenir des édifices parfois devenus, comme dans le cas de l'église Très-Saint-Nom-de-Jésus ou de la résidence Ignace-Bourget, de véritables éléphants blancs. 

En fait, nul ne sait comment Mgr Lépine financera son fol espoir d'une recrudescence imminente de la pratique religieuse. Les déficits significatifs qu'il accumula dans les deux dernières paroisses où il fut curé n'ont rien pour rassurer : son successeur a dû couper plus de 40 000 $ pour retrouver l'équilibre budgétaire.

À sa défense, le pape François vient d'affirmer sa préférence pour des évêques pasteurs plutôt que gestionnaires d'entreprise. Et Mgr Lépine, qui parcourt les paroisses bien au-delà des occasions spéciales, manifeste clairement qu'il désire se faire proche de tous.

Illusion de proximité

Malheureusement, les fréquentes visites paroissiales de l'archevêque ne créent qu'une illusion de proximité, de leadership et d'ouverture. En fait, il travaille essentiellement seul, dans la tour d'ivoire de son esprit plutôt qu'en équipe, et ne rend donc pas les gens solidaires de ses décisions. Il a réorganisé la curie diocésaine assez brusquement, à peu près sans consultation et sans expliciter sa vision. Générant ainsi du mécontentement plutôt qu'un effet d'entraînement, il doit désormais composer avec une curie presque paralysée, inefficace à force d'être centralisée autour de sa seule personne.

De plus, comme François l'a souligné récemment, un vrai pasteur sait rendre l'Évangile vivant pour ses contemporains. Or les passages éprouvants de Mgr Lépine dans les arènes de Tout le monde en parle et des Francs-tireurs ont suffisamment montré ses limites comme communicateur. C'est assez gênant quand on est à la tête d'une institution dont la mission principale est justement la communication d'un message...

La culture catholique étant ce qu'elle est, ce trop bref bilan ne provoquera pas de révolution de palais. Mais ce serait déjà beaucoup s'il donnait à penser qu'un homme bon et pieux ne suffit pas à faire un évêque compétent. S'il stimulait la curiosité des catholiques québécois pour la gouvernance de leur Église diocésaine. S'il donnait l'envie d'un très légitime : « Vous avez bien parlé, Monseigneur. Mais maintenant, j'ai une petite question pour vous... »

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