Dimanche dernier, une proposition référendaire visant à instaurer des quotas d'immigration très restrictifs fut approuvée par 50,3% des Suisses. Ces quotas s'appliqueront même aux travailleurs des autres pays de l'Union européenne, ce qui a soulevé l'ire de celle-ci. En gros, tous les beaux discours de libre circulation dans l'espace européen viennent de s'écraser le nez contre la porte du nationalisme suisse.

Parallèlement, ici, au coeur des affrontements entourant la Charte, certains défenseurs de cette dernière accusent ses opposants d'être de dangereux bien-pensants de l'ouverture. De fait, certains plaidoyers pour l'ouverture ressemblent à des sermons édifiants, ce qui a fait dire au chroniqueur Pierre Foglia qu'après des mois de débats, «il n'y a jamais eu autant de curés».

Mais alors, y aurait-il une limite légitime à l'hospitalité, à cette ouverture à l'autre qui est une vertu cardinale de notre culture judéo-chrétienne occidentale? Oui. Car dans la réalité, loin des livres pieux, un excès d'ouverture peut curieusement mener à un repli sur soi.

Un tel paradoxe tient du fait que l'on aspire profondément à habiter un lieu où l'on se sente chez soi. En terrain connu, sécuritaire. Or, la vie d'aujourd'hui, faite d'engagements provisoires et de constantes mises à jour de toutes sortes, requiert de nous tellement d'efforts d'adaptation qu'il est indispensable de pouvoir retrouver de temps à autre le confort du cocon familial, amical, communautaire, etc.

Lorsque ce minimum vital n'est pas assuré, nos capacités d'adaptation, de nous sentir bien dans un univers partiellement étranger ou imprévisible, se désagrègent rapidement. Nous risquons alors, comme personne ou société, de nous révolter, de claquer la porte de notre chambre: «C'est assez!»

Le peuple suisse vient de réagir ainsi. En d'autres mots, il n'a plus les moyens intérieurs de ses ambitions d'ouverture à l'autre, ambitions suscitées par le grand rêve européen d'espace unifié. Il faut dire que près du quart de la population de ce pays est constitué d'immigrants...

C'est une question d'équilibre. Et de réalisme: nous souhaiterions tous vivre en paix dans la grande famille humaine, mais dans les faits, nous avons chacun nos limites en matière de tolérance. Prétendre le contraire est de l'angélisme.

L'histoire humaine est ponctuée de personnalités qui manquèrent de réalisme quant au nécessaire équilibre entre moyens et ambitions. Les plus fervents marxistes-léninistes, par exemple: la doctrine communiste ferait merveille si elle ne négligeait pas le fait que nous ne sommes pas tous des Mère Teresa. Le communisme est inapplicable et tourne invariablement à la tyrannie, car la discipline qu'elle demande de chaque «camarade» excède les forces morales des individus.

Lorsqu'on exige trop d'une personne ou d'une nation, celle-ci finit par «péter sa coche». Par se cambrer et faire demi-tour, comme c'est le cas de la Suisse présentement. Dans cette perspective, le projet de charte pose la question suivante: au Québec, avons-nous les moyens moraux de nos ambitions d'ouverture?

Pour ma part, j'en suis convaincu. L'incapacité des extrémismes de s'implanter ici, nos moeurs politiques centristes, notre histoire très peu marquée par la violence et bien d'autres indices montrent que les Québécois modernes possèdent des ressources de tolérance et d'ouverture exceptionnelles. Et une ouverture lucide: devant le danger de l'aliénation économique et linguistique, les Québécois se sont affirmés en temps opportun - trop frileusement selon certains, mais c'est là une autre histoire.

Bref, nous n'avons pas besoin d'une charte pour nous protéger de l'accroissement de la présence visible de la religion en général, ou de l'islam en particulier. Comme peuple, nous avons largement les moyens moraux de nous ouvrir à cet épiphénomène avec confiance, sans finir par sombrer dans le tribalisme épouvanté. Prétendre le contraire serait mésestimer gravement la vitalité morale du Québec moderne.

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