La semaine dernière, le ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet, a déploré le fait que le débat était mal entamé au sujet de l'exploitation pétrolière du Québec. En l'absence de connaissances scientifiques sur la question, tant les environnementalistes que le Québec inc. auraient tendance à développer leur argumentaire de manière uniquement idéologique.

Le ministre n'a pas tort d'appeler au calme, tellement l'on sait que ce genre de débat peut rapidement se polariser à coups de sophismes et de statistiques partiales. Très vite, les deux camps pourraient retomber dans les caricatures qu'ils se font l'un de l'autre.

En cette matière, l'univers fantastique de Tolkien, qui fait en ce moment fureur sur nos écrans, nous fournit des archétypes suggestifs de la perception que les environnementalistes les plus catégoriques peuvent avoir des gens d'affaires, et vice versa.

Sur la question écologique, les entrepreneurs trouveraient, bien malgré eux, leur alter ego en Saroumane. Dans Le Seigneur des Anneaux, on assiste à l'exploitation sauvage d'une forêt afin d'alimenter les plans égoïstes du sorcier. Ce dernier est un utilitariste n'ayant aucun scrupule à placer entièrement les autres formes de vie au service de la magie de la technique.

Les environnementalistes, eux, seraient perçus comme des Elfes: des êtres rêvassant d'habiter le monde en épousant parfaitement - et chimériquement - ses contours, s'arrogeant toute la sphère de la moralité, intransigeants, chicaniers pour le moindre bout d'écorce.

Ces perceptions réciproques sont exagérées, évidemment, mais elles naissent d'une divergence réelle de rapport à la nature - et à soi-même.

D'une part, il y a ceux dont la dignité de l'action humaine repose avant tout sur l'usage efficace que l'on fait de la raison en vue d'une certaine conception du bien commun. La nature est simplement un réservoir de ressources dont l'humain dispose, via l'économie, pour accroître son bonheur. Si on doit se préoccuper d'environnement, c'est avant tout pour s'assurer que le garde-manger restera plein encore longtemps.

D'autre part, il y a ceux qui sont viscéralement dégoûtés par cette perspective, qu'ils considèrent comme arrogante et réductrice. Car en absolutisant la dimension rationnelle de notre nature au détriment d'autres aspects que l'on partage avec d'autres êtres, nous perdrions contact avec la nature dans son ensemble.

À voir avec quel sentiment religieux certains écologistes s'engagent pour leur cause, on ne peut guère réduire leur solidarité avec la nature à une capricieuse affaire de principe. Pour eux, attenter sans bonne raison à la nature, c'est bafouer l'harmonie entre les êtres. Et bafouer, au nom de la seule raison instrumentale, l'harmonie existant entre les différentes facettes de notre propre nature.

Ces deux visions du monde sont-elles irréconciliables? Dans leurs versions radicales, oui. Quand la légitimité de la perspective adverse n'est même pas reconnue, les coups en bas de la ceinture dénaturent le sain pugilat politique devant encadrer, en démocratie, tous les conflits d'intérêts publics.

La Terre du Milieu nous offre-t-elle des exemples de compromis, des intermédiaires entre Saroumane et les Elfes? Certainement: les Hobbits respectent grandement la nature, mais pas au point de renoncer à leur confort bourgeois. Les hommes du Rohan sont amoureux des chevaux, mais restent ouverts au progrès technique. Les Nains exploitent les minerais précieux avec une fièvre toute capitaliste, mais sont déférents envers leurs montagnes, sous lesquelles ils vivent.

Bref, le présent débat requiert assurément qu'on prenne le temps de faire des études scientifiques aux paramètres consensuels. Mais il exige aussi une forte dose de bonne volonté. La bonne volonté de croire, même si c'est difficile, qu'il existe, concernant notre rapport à la nature, des positions acceptables quelque part entre l'indifférence et la vénération. Et que les Nains, les Hobbits, et même Saroumane et les Elfes, peuvent réussir à oeuvrer de concert, avec satisfaction.

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