Ce soir, à Sainte-Dorothée, des citoyens se regrouperont, répondant à l'appel du groupe de sensibilisation Laval Refuse. Dans le contexte de la crise de leadership actuelle, on pourrait croire que l'objet du refus de ces citoyens, c'est toute compromission des élus avec des entreprises suspectées de corruption.

Il n'en est rien. Ce que certains Lavallois refusent est plutôt l'installation de compteurs intelligents par Hydro-Québec. Ces compteurs, tout comme les routeurs dont dépend leur efficacité, émettent des radiofréquences soupçonnées d'aggraver considérablement «l'électrosmog».

Qu'en est-il réellement? Difficile à dire. Le CIPRNI, organisme reconnu par l'Organisation mondiale de la santé, admet que la pollution électromagnétique est un enjeu sanitaire et environnemental complexe. Les normes dont s'inspirent plusieurs pays concernant le taux d'exposition acceptable doivent être considérées avec prudence, car elles sont fixées selon l'état bien fragmentaire de la connaissance scientifique sur cette question.

En raison de ce flou scientifique, le principe de précaution est souvent invoqué, entre autres par la quinzaine de municipalités québécoises ayant demandé un moratoire avant de poursuivre l'installation des compteurs intelligents. Suivant ce principe, quand les effets d'une action peuvent entraîner des ravages imprévisibles chez l'humain ou dans l'environnement, mieux vaut s'abstenir au moindre doute raisonnable.

Cependant, il est difficile de trancher où l'interprétation du principe de précaution devient frileuse, ou au contraire téméraire. Tâche encore plus difficile: si bien des gens sont d'accord pour dire qu'on peut évaluer une civilisation au soin qu'elle prend des plus vulnérables, jusqu'où ce principe s'applique-t-il? Quel degré de détresse, et touchant combien de personnes, faut-il pour que la majorité doive accepter un sacrifice d'ordre économique?

La question ne se pose même pas quand la détresse est spectaculaire. J'ose croire que peu de gens doutent que notre société québécoise perdrait en humanité si elle demeurait indifférente aux sorts des Méganticois. Mais face à une détresse moins manifeste, plus anonyme, la balance penche souvent trop rapidement en défaveur de la minorité éprouvée.

C'est le cas, il me semble, dans le dossier des compteurs intelligents. L'électrosmog est à l'ordre du jour dans bien des endroits de la planète, de Californie jusqu'en Israël. Au Québec, le dossier soulève peu de passion, peut-être en raison de son traitement assez technique par les médias. Et puis, qui connaît une personne dont la qualité de vie dépend réellement de l'installation des compteurs intelligents?

Pourtant, ces personnes existent. Il y a quelques années, Véronique Riopel, cofondatrice de Laval Refuse, a développé une allergie aux pesticides. Une allergie en a entrainé une autre. À terme, Mme Riopel est devenue allergique aux champs électromagnétiques. En d'autres mots, elle a développé une hypersensibilité environnementale. Lui rendant visite, j'ai pu constater que circuler dans le monde, quand ton corps réagit sévèrement à la proximité des tours cellulaires ou du moindre parfum, c'est un casse-tête infernal.

Au cours des années, Mme Riopel a frôlé la mort. Elle a traversé des épreuves, physiques et morales, qui auraient pu l'achever. Volontaire, elle a choisi de se battre, pour elle et pour ses semblables. Pour eux, le plus frustrant est le scepticisme de plusieurs médecins, voire d'amis et de voisins. «C'est peut-être psychologique...» Bien sûr...

Bref, au coeur du problème de compteurs intelligents, il y a bel et bien des personnes essayant, ici et maintenant, de survivre tant bien que mal dans un environnement qui leur est de plus en plus hostile. Prendre acte de cela rend l'enjeu moins théorique et abstrait. Ça ne nous donne pas de réponse toute faite. Mais ça donne à l'enjeu un visage plus humain, nous permettant ainsi d'y réfléchir avec plus d'intelligence.

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