Pour son septième et dernier discours sur l'état de l'Union, le président Barack Obama était, mardi soir devant le Congrès, un homme serein et satisfait. Il quittera son poste en janvier prochain avec le sentiment du devoir accompli.

Obama est un orateur hors pair, mais pour ce discours, il a évité le style grandiloquent et souvent caricatural que cette adresse à la nation impose annuellement à tous les présidents au cours de leur mandat. Tout en rappelant les grandes lignes de son action et ses résultats, il n'a pas cherché à dresser un bilan détaillé et complet de sa présidence. L'Histoire s'en chargera.

Il a plutôt centré une bonne partie de son propos sur la défense des valeurs et sur l'importance de la modération en politique afin de convaincre les citoyens américains de l'urgente nécessité de rejeter les idées extrémistes - la démagogie, le racisme et la xénophobie - qui refont surface à la faveur de la course à l'investiture républicaine pour la présidentielle de novembre.

Dans cet esprit, on peut dire que le président a retrouvé les beaux jours du Barack Obama idéaliste et combatif des campagnes de 2008 et 2012, de ses discours du Caire devant le monde musulman et d'Oslo à l'occasion de l'acceptation du prix Nobel de la paix.

Cet accent mis sur les valeurs - de solidarité, de compassion, de tolérance, de civilité - , Obama sait qu'il peut porter à débat entre démocrates et républicains. Le président a admis qu'il « regrettait » de ne pas avoir été en mesure de rétablir un peu plus de civilité dans le débat politique à Washington. « C'est l'un des quelques regrets de ma présidence : que la rancoeur et la méfiance entre les partis se soient amplifiées au lieu de s'être atténuées », a-t-il dit.

Il sait aussi que ses grands programmes de solidarité sociale, comme la réforme de la santé, ne sont pas interprétés comme tels par une partie de ses opposants et de la population. « C'est un honnête différend », a-t-il dit en parlant du débat souvent houleux sur l'Obamacare.

Nul n'a mieux exprimé cette division entre démocrates et républicains que le speaker de la Chambre des représentants, Paul Ryan. Mardi soir, assis derrière le président, le représentant républicain n'a cessé de se tortiller sur son siège chaque fois que Barack Obama évoquait ses programmes et ses idées comme autant de valeurs à respecter.

Pour autant, le président a provoqué les applaudissements de Ryan et une ovation unanime des représentants et sénateurs réunis lorsqu'il a dénoncé le traitement réservé aux immigrants et aux musulmans par le candidat républicain Donald Trump. « L'Amérique se doit d'être exemplaire, et cela passe par le rejet de toute politique fondée sur la stigmatisation de la race ou de la religion », a lancé Barack Obama, sans jamais citer le nom du milliardaire.

« Lorsqu'un responsable politique insulte les musulmans, qu'il s'agisse des étrangers ou de nos concitoyens, cela ne rend pas le pays plus sûr, cela nous affaiblit aux yeux du monde, cela nous empêche d'atteindre nos objectifs », a-t-il poursuivi.

Pour Obama et certainement pour Ryan et d'autres élus, il y a péril en la demeure. Le grand schisme idéologique qui fracture les États-Unis ne porte plus sur l'économie, mais plutôt sur l'identité. Et lorsque les questions identitaires, qu'elles soient sociales, culturelles, raciales, sexuelles, prennent le dessus, on n'est jamais loin d'une explosion violente. Dans le magazine The Atlantic publié ce mois-ci, le Canadien David Frum, ancien conseiller de Bush fils, analyse avec finesse cette nouvelle donne à travers la crise qui secoue le Parti républicain.

Ainsi, le succès de Donald Trump s'explique par la révolte d'une partie grandissante de l'électorat républicain contre tous les establishments. Ces républicains, souvent déclassés et précarisés, en ont contre les banquiers, les partis, les grandes entreprises, les immigrants, les médias... tout ce qui, selon eux, mettrait en péril leur Amérique, écrit Frum.

Les lignes bougent et se radicalisent aux États-Unis, et c'est contre cela que Barack Obama s'est élevé à la fin de son discours. Il appartient désormais aux Américains et à leurs représentants de rétablir une mesure de modération afin de construire l'Amérique réelle, et non imaginée.

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