La Turquie est dans l'oeil du cyclone. Elle est au centre des différentes crises qui secouent le Proche-Orient et, du fait même, le monde : la guerre en Syrie, la lutte contre le groupe État islamique, l'afflux de migrants syriens et irakiens vers l'Europe, la recomposition du monde arabe après le printemps démocratique de 2011, le conflit israélo-palestinien, l'influence grandissante de l'Iran. Ce n'est pas rien.

Le président Recep Erdogan ne semble guère préoccupé par cet environnement chaotique. Il en rajoute et se permet même d'affronter directement une grande puissance, la Russie, en détruisant un de ses avions de combat au prétexte que celui-ci violait l'espace aérien turc.

Depuis son accession au pouvoir en 2002, Recep Erdogan, d'abord premier ministre puis président, voit grand pour la Turquie. Ses politiques économiques propulsent le pays au 15e rang mondial avec l'objectif d'atteindre le 10e rang dans quelques années. Les grands groupes industriels et financiers turcs sont partout, principalement au Proche-Orient et en Afrique. Ainsi, Turkish Airlines est devenue en quelques années une de plus grandes lignes aériennes du monde et dessert 44 destinations rien qu'en Afrique, plus qu'Air France.

Le modèle économique a ses ratés, bien entendu, mais les Turcs n'en ont pas conscience, du moins pas tous.

Le système Erdogan relève du régime autoritaire où la presse est muselée et les partis politiques sont marginalisés.

Les espaces de critiques se réduisent comme peau de chagrin au moment même où le nationalisme le plus extrême occupe le discours public.

Les ambitions du président turc se répercutent aussi dans la promotion d'une politique étrangère agressive.

Les anciennes républiques soviétiques turcophones d'Asie centrale sont l'objet de toutes ses sollicitudes. Au Proche-Orient, il appuie ouvertement les Frères musulmans au grand déplaisir de l'Égypte. Il avance ses pions en Libye, au Maghreb, en Somalie. En Syrie, il change son fusil d'épaule et exige maintenant la tête du président Assad, gagnant l'appui de l'Arabie saoudite et des États-Unis tout en se retrouvant à affronter l'Iran et la Russie.

Les options économiques et géopolitiques d'Erdogan placent la Turquie au centre du jeu et en font un acteur de premier plan pour la stabilité de l'Europe et du Proche-Orient. Pour autant, ses choix ne lui font pas que des amis. En quelques années, il a réussi à se brouiller avec un allié stratégique, Israël, au sujet de la Palestine. Encore en janvier, le premier ministre turc Ahmet Davutoglu comparait son homologue israélien Benyamin Nétanyahou aux terroristes islamistes qui ont abattu les journalistes de Charlie Hebdo.

Le ministre israélien des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, répliquait et traitait Erdogan de « petit caïd de quartier antisémite ».

Avec la Russie, tous croyaient que la Turquie filait une relation parfaite jusqu'à ce mois de septembre dernier où Moscou a décidé d'appuyer militairement le régime syrien. Visiblement, Erdogan n'a pas digéré. Après la destruction d'un avion de combat russe, Vladimir Poutine n'a plus hésité à accuser directement le président turc de protéger le trafic de pétrole de l'EI en Syrie et même d'en profiter. À Paris, lors de la conférence sur le climat, Erdogan a cherché à rencontrer Poutine qui lui a préféré... Nétanyahou.

Malgré tout, la Turquie est incontournable. Elle vient d'accepter d'endiguer l'afflux de migrants vers l'Europe en échange d'une aide de trois milliards d'euros et la relance des négociations d'adhésion à l'Union européenne. Certains n'hésitent pas à dire que l'Europe a cédé au chantage aux réfugiés.

À ce jour, la méthode Erdogan, savant dosage d'ouverture et d'autoritarisme, de brutalité et de diplomatie, se révèle à l'usage payante pour la Turquie.

Reste que les turbulences internes - attentats terroristes et mécontentement des Kurdes - et autour du pays sont toujours bien présentes et s'enveniment de jour en jour. Erdogan sera-t-il longtemps imperméable aux orages ?

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