La grande coalition internationale contre le groupe État islamique (EI) voulue par le président français François Hollande au lendemain des attentats de Paris est morte avant d'être née. Et ce n'est pas seulement la destruction mardi d'un chasseur russe par l'aviation turque qui a scellé son sort.

L'objectif est le même, mais les intérêts sont incompatibles. Publiquement, du moins, les pays occidentaux, la Russie, la Turquie, l'Iran et tous les gouvernements arabes veulent détruire l'EI. La coalition américaine, d'un côté, et celle menée par la Russie, de l'autre, ont procédé à des milliers de frappes sur autant de cibles en Irak et en Syrie. Les résultats sont là : des localités aux mains de l'EI sont tombées, des lignes de communication et d'approvisionnement sont coupées, des territoires sont reconquis par les forces irakiennes et kurdes. Le problème est ailleurs.

La lutte contre l'EI s'inscrit aussi, et peut-être d'abord et avant tout, dans un conflit géopolitique pour le contrôle d'un Proche-Orient en pleine recomposition. Dès lors, les objectifs et les priorités des uns et des autres relèguent au second plan les efforts antiterroristes. La destruction du chasseur russe par la Turquie illustre parfaitement cette dynamique.

INCIDENT TURQUIE-RUSSIE

L'avion russe a certainement violé l'espace aérien turc. Ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Pour autant, s'il s'agit là d'un acte illégal, l'appareil russe posait-il un danger imminent à la sécurité de la Turquie ? Fallait-il abattre l'avionpour un incident qui n'aurait duré que 17 secondes ?

La Turquie a été rapide sur la gâchette. Tout indique que son geste a tout à voir avec la façon dont les Russes interviennent en Syrie.

En effet, des villages turkmènes syriens à la frontière entre la Turquie et la Syrie sont bombardés par l'armée syrienne et l'aviation russe depuis plusieurs semaines. Ces bombardements auraient fait des centaines de victimes. Les Turkmènes s'opposent au régime syrien depuis 2011, et la Turquie aurait averti la Russie de cesser ses attaques.

La Turquie mène son jeu dans l'affaire syrienne. Elle consacre plus de moyens à bombarder les Kurdes que l'EI. La destruction de l'avion russe a donc été présentée par la presse française comme un acte visant « à saboter la coalition anti-Daech » si chère à François Hollande. Peut-être. En tout cas, c'est un premier tir sur la coalition qui n'augure rien de bon.

Le deuxième tir est venu de Washington. Mardi, au cours d'une rencontre avec le président français, Barack Obama a douché les espoirs d'une coalition avec la Russie. Il a demandé à Poutine d'abandonner le dirigeant syrien. « Si leur priorité est d'attaquer l'opposition modérée qui pourrait faire partie d'un futur gouvernement syrien, la Russie n'aura pas le soutien de notre coalition », a-t-il dit.

De quoi François Hollande va donc discuter avec le président russe lors de leur rencontre aujourd'hui à Moscou ? L'atmosphère risque d'être irrespirable.

Poutine sera encore sous le choc de l'incident turco-russe et de la fin de non-recevoir du président américain. La Russie défend ses intérêts en Syrie avec le déploiement de son armée et n'a pas l'intention de reculer.

Lundi dernier, et cela a fini par passer inaperçu dans les médias occidentaux, Poutine était à Téhéran, allié inconditionnel d'Assad, où il a rencontré nul autre que le chef suprême, l'ayatollah Khamenei. Sur quoi portait leur conversation ? Poutine a peut-être décidé de lâcher Assad et a discuté avec les Iraniens des modalités d'un départ en douceur. Si c'est le cas, l'incident turco-russe va-t-il faire capoter le plan ? François Hollande est sur le point de le découvrir.

Déjà à Washington, Hollande ne parlait plus de coalition, mais de coordination. Malgré l'incident turco-russe, la Russie affirme être prête à planifier des frappes dans le cadre d'un état-major commun avec tous les pays qui le souhaitent, y compris la Turquie. Mais la coalition est à l'eau. Il reste la coordination. Est-elle même envisageable ?

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