Il s'agissait d'agir. Au cours des deux derniers mois, une trentaine de localités occupées par le groupe armé Boko Haram ont été reprises par les forces tchadiennes dans le nord-est du Nigeria. Cette semaine, au Cameroun, ministres et fonctionnaires de 25 pays planchent sur une stratégie commune de lutte contre le groupe terroriste. Il était temps. En effet, Boko Haram et les autres groupes djihadistes qui sèment la désolation en Afrique de l'Ouest sont forts de la faiblesse des États de la région.

Depuis leur apparition en Algérie il y a 20 ans, les mouvements djihadistes ont surgi année après année dans une douzaine de pays du Maghreb et de la bande sahélienne s'étirant de la Mauritanie au Soudan. Ils s'activent maintenant dans certains pays d'Afrique centrale, comme au Cameroun et en République centrafricaine.

Cette progression, tout aussi spectaculaire soit-elle, repose avant tout sur des facteurs locaux propres à chaque pays et sur des actions d'éclat destinées à frapper les esprits plutôt que sur une stratégie d'ensemble bien affinée et coordonnée.

En Libye, au Mali, au Niger, au Nigeria, au Soudan, en République centrafricaine, l'autoritarisme des régimes, la corruption des élites au pouvoir, la persécution des minorités, le chômage massif des jeunes, la circulation des armes, l'incapacité de l'État à affirmer sa présence ou à imposer son autorité et les trafics en tous genres ont fragilisé des pays entiers et permis à des groupes idéologiquement disciplinés de promouvoir une alternative, la plupart du temps violente et parfois mafieuse, et de contrôler des territoires vastes et souvent difficiles d'accès.

À première vue, les mouvements djihadistes affichent une grande puissance et démontrent une parfaite maîtrise tant des opérations militaires et politiques que du terrain. Ainsi, Boko Haram frappe au moment de son choix, massacre des centaines de villageois, assassine froidement des étrangers, capture des villes et des villages, tisse des alliances avec Al-Qaïda et le groupe État islamique. Toutes ces actions sont bien réelles et effraient d'autant plus que les médias les amplifient et que les gouvernements semblent incapables de les prévenir.

Et pourtant, cette belle assurance cache une autre réalité. Les mouvements djihadistes sont fragiles et, à eux seuls, ne peuvent espérer prendre le pouvoir sans le soutien d'autres forces politiques ou sociales. L'exemple des événements au Mali en 2012 et 2013 le démontre. C'est bien à la faveur d'alliances de circonstance avec des mouvements politiques du nord du pays, région délaissée par le gouvernement central depuis l'indépendance, et en profitant des divisions au sein du régime que quelques centaines de djihadistes ont mis en danger le pouvoir à Bamako.

Au Nigeria, Boko Haram, avec des moyens dérisoires, profite depuis 2009 de l'absence réelle ou voulue de l'État et d'un mécontentement certain des populations du nord pour terroriser des régions entières. L'intervention déterminée et fulgurante de milliers de soldats tchadiens depuis deux mois a semé la panique dans leurs rangs. L'élection d'un nouveau président, nordiste, devrait aussi redynamiser une armée nigériane restée trop longtemps passive.

Combattre militairement les mouvements djihadistes est une nécessité incontournable. D'où l'importance de soutenir les forces de paix de l'ONU au Mali et en République centrafricaine et d'appuyer la création d'une force d'intervention contre Boko Haram. L'option militaire doit toutefois s'accompagner d'une stratégie politique reposant sur quatre piliers: favoriser le règlement négocié des différends, renforcer les institutions étatiques et de la société civile, créer les conditions du développement économique et social, et contrer l'islam radical en asséchant ses sources de financement et en favorisant le dialogue religieux.

Dans certains cas, comme au Mali, cette double action militaire et politique est déjà mise en oeuvre. Elle mettra du temps pour donner des résultats et, à défaut d'éliminer le djihadisme, pourra en réduire considérablement l'attrait.

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