Quelle que soit l'issue de la négociation sur le nucléaire iranien hier soir en Suisse, celle-ci donne la mesure des changements stratégiques en cours au Proche-Orient. Elle consacre une réalité difficile à accepter pour certains États de la région: l'Iran est devenu un acteur incontournable dans la stabilisation de cette partie du monde.

Avant la chute du régime impérial en 1979 et l'arrivée des mollahs au pouvoir, l'Iran était déjà la puissance dominante, financée et armée par les États-Unis. Trente-cinq ans de sanctions l'ont isolé, sans jamais pour autant ébranler sa détermination de retrouver ce statut.

À la faveur de la détérioration du processus de paix israélo-palestinien, des luttes de pouvoir au Liban, de la catastrophique intervention américano-britannique en Irak et des agissements de groupes terroristes comme l'État islamique, Téhéran a patiemment avancé ses pions en soutenant le Hamas palestinien et le Hezbollah libanais, en prenant le contrôle du pouvoir en Irak et en appuyant la lutte contre les ambitions religieuses et territoriales de l'EI. L'Iran s'est ainsi constitué une zone d'influence à prédominance chiite dont le dernier domino tombé sous son emprise est le Yémen.

Avec de telles cartes en main, un monde arabe sunnite craintif, mais divisé face à Téhéran et aux enjeux régionaux, et des Occidentaux tournés vers leurs problèmes internes ou attirés par les sirènes du commerce avec l'Asie, l'Iran retrouve sa place et la négocie chèrement. D'où les interminables pourparlers sur le nucléaire militaire et dont l'accord probable pourrait bien permettre à l'Iran de conserver la capacité résiduelle de fabriquer une bombe atomique. Pas surprenant que le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou estime que le régime des mollahs est plus dangereux que l'EI, car «vaincre l'EI et laisser l'Iran devenir une puissance nucléaire potentielle, c'est remporter la bataille, mais perdre la guerre», a-t-il affirmé devant l'ONU en septembre dernier.

Les six grandes puissances engagées dans la négociation avec l'Iran ne partagent visiblement pas cet avis. Cinq d'entre elles disposent d'armes nucléaires et connaissent parfaitement tous les ressorts d'un programme nucléaire et les contrôles à appliquer pour limiter le développement du volet militaire. Là n'est plus la question. En échange de la signature d'un accord, les grandes puissances veulent obtenir de l'Iran l'engagement à observer un comportement «positif» et «responsable» dans les affaires du Proche-Orient. Et l'Iran pourrait bien le leur offrir.

Un moment charnière

Le pays de 80 millions d'habitants est dans une mauvaise situation. Trois décennies de sanctions internationales et de règne sans partage des mollahs ont bloqué le développement de l'économie, étouffé les aspirations des classes moyennes et réprimé la dissidence. L'Iran a besoin de libérer les énergies et de réinvestir dans son capital humain et son potentiel économique afin de jouer pleinement le rôle de puissance régionale.

Sur le plan extérieur, l'expansion grandissante de l'influence iranienne provoque une réaction bien classique: les régimes arabes sunnites réunis autour de l'Arabie saoudite et de l'Égypte organisent maintenant la résistance, et il viendra un moment où les deux camps devront choisir entre la cohabitation ou la guerre.

L'Occident, la Russie et la Chine peuvent travailler à l'instauration de la première et éviter l'éclatement de la deuxième. Barack Obama a été le premier à reconnaître l'inéluctabilité de la montée en puissance de l'Iran et la nécessité d'ouvrir le jeu afin de lancer un dialogue entre les pays de la région. Il reste à voir si tous voudront coopérer.

Au-delà des ambitions géopolitiques et des rivalités économiques, le contentieux religieux entre sunnites et chiites est bien réel, et Israël ne restera pas sans réagir si sa sécurité est menacée. Le Proche-Orient est toujours un champ de mines, mais une d'entre elles, le nucléaire iranien, sera sans doute désamorcée. C'est un début.

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